dimanche 19 avril 2015

Harry Potter, une oeuvre littéraire ? Quelques arguments...

Voici venu le moment d'écrire ma "défense de la littérature potterienne". Cela fait un peu plus d'un mois que cette lubie me tient : relire Harry Potter (juste pour le plaisir) et réfléchir à sa dimension littéraire. Le fait que cette saga ait eu un tel succès, et qu'en plus elle continue à faire parler d'elle, m'a fait me poser des questions... beaucoup de questions. Auxquelles je n'ai pas beaucoup de réponses, mais le peu que j'en ai, je vais tenter de les partager ici. 

Je ne vais rien vous apprendre, dans un premier temps, en vous disant qu'Harry Potter a connu un succès planétaire. Plus de 400 millions d'exemplaires vendus de par le monde, traduis dans  dans  67 langues, dont le latin (intéressant...!) et le grec ancien. Plein de sous aussi forcément, plein de produits dérivés, des films, des fan fictions, etc... 
Mais du point de vue littéraire ? 
Déjà, Harry Potter marque l'avènement de la littérature Young Adult. Comme son nom l'indique, cette littérature concerne les adolescents de plus de 15 ans, et les adultes. Une tranche d'âge qui, il y a encore une quinzaine d'années, n'avait le choix qu'entre Choupy ou Balzac (et j'exagère à peine). En effet, une des innovations de cette saga est qu'on grandit avec son héros au long des 7 tomes. Ainsi quand on est petit on lit les deux premiers tomes, et quand on grandit un peu, les 5 suivants. Ainsi on a pu commencer à lire Harry Potter à 10 ans, et continuer jusqu'à nos 17 ans. Or passé 15 ans, c'est Young Adult. CQFD. Harry Potter est de la littérature Young Adult. Depuis on a eu Hunger Games, Percy Jackson, Artemis Fowl, et plein d'autres. 
HP a donc marqué un tournant dans les habitudes de lecture. Il y a selon moi un avant et un après HP. Je ne suis pas libraire mais je pense que ça a changé beaucoup de choses de ce côté là aussi.

HP a donc rencontré un public très large, de 7 à 77 ans (enfin mon papy n'a pas lu HP). Mais a-t-il bouleversé les attentes des lecteurs ? 
Les histoires des jeunes gens confrontés à des univers magiques ou inconnus ne sont pas nouvelles (Alice de Lewis Caroll), les aventures de sorcières non plus, mais un gentil sorcier qui vit dans un univers complet et ordonné, je crois que ça c'était complètement nouveau. L'univers créé par JK Rowling, le fait de suivre un personnage tout au long de sa scolarité, à travers un aussi grand nombre de tomes, est aussi assez nouveau. Et c'est ce qui fait une des qualités littéraires de ces romans : l'évolution temporelle, qui suit la transformation du héros. Harry grandit au fil des livres, et l'écriture mûrit en même temps qu'Harry. C'est pourquoi les plus jeunes apprécient les deux premiers tomes, et les plus grands les trois derniers. Les tomes 3 et 4, selon moi, peuvent toucher un public de "jeunes ados". 
Par ailleurs, une autre des qualités narratives de l'oeuvre réside dans le choix de la focalisation : JKR aurait pu choisir uniquement la focalisation interne, pour nous faire tout découvrir à travers le regard d'Harry, comme dans beaucoup de romans Young Adult d'ailleurs. C'est ce qu'elle choisit de faire dans l'ensemble, nous faire découvrir l'univers des sorciers à travers les yeux de Harry (lequel est novice en matière de magie, ce qui facilite la narration puisqu'elle peut nous expliquer bon nombre des particularités du monde des sorciers en faisant en sorte qu'un autre personnage les explique). Mais elle maintient également une distance critique, n'hésitant pas à se moquer de lui par moments. La voix narrative est donc assez subtile et mêlée dans HP. Toutefois, cela suffit-il à faire de ces romans de la littérature ? 
Non pas sans doute si on s'en tient à la question de la réception. En effet, pour avoir un chef-d'oeuvre, il faut qu'il y ait un écart esthétique entre ce que le public attend et ce que le livre lui propose. Un écart, un étonnement. Les oeuvres populaires ne nous étonnent pas, ne nous dérangent pas, on les ouvre en sachant plus ou moins ce qu'on va y trouver, en espérant tout de même être un peu étonnés, mais sans plus. Alors qu'une oeuvre littéraire surprend, voire répugne. Pensez à Madame Bovary, complètement rejeté par la critique. Une femme adultère, du discours indirect libre, autant de points qui rebutèrent les lecteurs. Et pourtant, aujourd'hui, personne n'irait dire que ce pavé de Flaubert n'est pas une oeuvre du patrimoine littéraire.
Quid d'HP ? Certes on a pu être surpris par certains choix de JKR, fasciné par son univers, emporté par un engouement... mais je ne crois pas qu'on en soit à un étonnement littéraire. Et surtout, il n'y a eu aucun rejet. Les lecteurs ont été bouleversés, mais il n'y a eu aucune critique. Ou alors dithyrambique. Le nombre d'exemplaires vendus ne fait donc pas d'une oeuvre un monument littéraire.

Toutefois, si ce n'est pas de la littérature, HP n'en reste pas moins un roman. Et il s'avère qu'HP présente un certains nombre des caractéristiques qui font un roman, selon certains théoriciens. 
D'abord, Harry Potter est un bâtard, doublé d'un orphelin. Sa mère est une Moldue, son père un sorcier. Il a été élevé par son oncle et sa tante, des Moldus sans aucun lien avec le monde de ses parents. Or selon Marthes Robert (dans Roman des Origines, Origines du roman), la plupart des héros de romans sont des orphelins et des bâtards (revenant ainsi aux origines même du genre, puisque le roman est un genre bâtard, entre l'épopée et le conte populaire). Harry serait même au stade pré-oedypien, c'est à dire qu'il quitte ses parents adoptifs (les Dursley) pour aller vers un autre monde, celui de ses vrais parents (Poudlard). Je trouve que jusque là, ça colle pas mal. On est bien dans un Roman au sens profond du terme. 
Ensuite, Harry est bien un individu confronté à un monde qu'il ne connait pas, et ne maîtrise pas : élevé dans un placard à balais (il va d'ailleurs les adorer après), il est tout à coup enlevé par un géant, achète une baguette magique, un chaudron, une chouette, traverse une barrière pour monter dans un train qui l'emmène vers un château merveilleux où il va apprendre... la magie. Novice en la matière, Harry est le héros idéal puisqu'il découvre tout avec un regard neuf. Non seulement JKR a trouvé une parade pour nous expliquer à nous aussi coutumes et principes magiques, mais pour exercer aussi un regard critique (utilisation de l'étranger dans les romans dès le 18ème siècle pour dénoncer les dérives de la France ou d'autres régimes politiques). Finalement, HP est pour son auteur l'occasion de critiquer la société britannique (l'uniforme, les collèges d'élite, l'administration,...). 

"Au moyen de la coupure qu'il pose entre l'individu et son milieu, le roman est le premier genre à s'interroger sur la genèse de l'individu, et sur l'instauration de l'ordre commun."
Cette citation issus de La pensée du Roman de Thomas Pavel me semble bien faire valoir l'idée qu'Harry Potter est bel et bien un roman : Harry est différent des autres, stigmatisé même (la cicatrice, tout de même violent comme symbole ! et marqué au front, comme un espèce d'oeil omniscient), et essaie de comprendre le monde qui l'entoure. On s'interroge donc sur un individu singulier (Harry, qui a connu de grandes souffrances, et dont on suit l'évolution psychologique) et le monde qui l'entoure, espèce de stéréotype d'une société élitiste. 

Harry Potter serait donc bien un roman, littérairement parlant. Ceci étant, finissons-en avec la question sa dimension littéraire. Si on s'en tient à ces deux arguments, à savoir qu'une oeuvre littéraire tient à la fois à l'univers créé par l'auteur et à son style, on peut se dire qu'HP a de grandes chances de triompher. L'univers de JKR est tout de même hallucinant : elle a tout inventé, de l'organisation de la société des sorciers aux formules magiques latinisantes, jusqu'à un jeu sur balais volants, le Quidditch. Certes elle n'a pas été sans s'inspirer de la mythologie (le basilic du tome 2, les prénoms de certains personnages (Minerva Macgonagall = Minerve, déesse de la sagesse, Argus Rusard = Argos aux cent yeux), et j'en passe) mais ceci joue en la faveur d'une promotion littéraire : tout texte littéraire est également intertextuel, c'est à dire qu'il s'inspire de textes palimpsestes, autrement dit des textes fondateurs qui existaient avant lui. L'univers d'HP est donc riche et varié. Mais cela suffit-il à en faire une oeuvre littéraire ? 
Reste la question du style. Que dire du style de JKR ? Certes l'écriture en VO est très agréable, on sent la recherche, la volonté de ne pas être lourd ou redondant, le souci du détail avec la transcription du parler d'Hagrid ou de certains accents... mais cela suffit-il ? On est tout de même loin de Shakespeare et de Flaubert. D'ailleurs heureusement, parce que les plus jeunes ne s'amusent pas avec ceux-là, même avec Bel Ami ou Hamlet (encore moins avec eux peut-être même !). La question du style est donc sans doute ce qui manque à JKR pour être promue au rang d'oeuvre littéraire.

Bon, je dois reconnaître que, en dépit d'un certain nombre d'arguments assez convaincants, la question du style reste irrécusable... et je dois apposer un refus catégorique à la promotion de la saga au rand de Shakespeare et autres Lewis Caroll. 
Ceci dit, si HP n'est pas une véritable oeuvre littéraire, ça reste un phénomène, qui aura permis à plein de jeunes de se mettre à la lecture. Et ça, quel que soit  le livre, ça n'a pas de prix. Danièle Sallenave promeut cela dans bon nombre de ses essais : la littérature permet de nous faire vivre d'autres vie, et de découvrir l'empathie. Et Harry est confronté à plein d'émotions différentes : la gloire et ses affres, la jalousie (Ron qui lui fait la tête dans le tome 4 parce que c'est lui qui attire toujours les regards), mais aussi l'importance de l'amitié et de la fidélité. Il semblerait même que les lecteurs d'Harry Potter soient plus tolérants. C'est vrai qu'être ami avec Hagrid ou discuter avec un elfe de maison qui se frappe la tête pour se punir à la moindre parole de travers demande un certain degré d'acceptation de la différence. 
Bon, je pourrais continuer encore longtemps, il y a beaucoup de choses à dire sur cette série de légende. D'ailleurs, même si HP n'est pas de la littérature à proprement parler (à cause du style encore), on peut sans hésiter dire que c'est un classique, puisque tout le monde le connaît et que, le plus souvent on ne dit pas "je suis en train de le lire" mais plutôt "je prends le temps de le relire":).

Pour en savoir un peu plus : http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20130920.OBS7871/harry-potter-est-un-batard.html


Un petit mot sur Harry Potter et la Coupe de feu (tome 4) : 

4 commentaires:

  1. Intéressante cette réflexion ! Je n'avais pas fait ce lien entre le roman, genre "bâtard", et le fait que Harry soit un orphelin, fils d'un sorcier et d'une sorcière née moldu. Par contre, je ne m'étais pas posé la question de savoir si c'est une oeuvre littéraire. Pour moi, il y a littérarité à partir du moment où il y a création. Donc pour moi, c'est bien un roman, une oeuvre littéraire. Je mets à part la question de la qualité. Du coup c'est intéressant d'avoir ton avis sur la question, ça permet de découvrir d'autres perspectives :) Je pense que Harry Potter est une oeuvre littéraire qui mérite qu'on la découvre, pleine de qualités et qui promet de bonnes heures de lecture. Et ces romans peuvent être un bon tremplin pour des jeunes qui n'aiment pas spécialement lire, et qui pourront ensuite découvrir d'autres oeuvres et des classiques. Après, comme toi, je ne suis pas de ceux qui l'élèvent au rang de chef d'oeuvre.

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    1. Comme je suis contente de te revoir par ici !!!
      Et je suis aussi carrément contente que tu aies osé lire mon pavé un tantinet didactique ^^. Tu es ma plus fervente lectrice !! Avant toi, personne ne s'y étais osé... !
      Je vais de suite aller jeter un oeil chez toi.

      Sinon concernant HP, j'avais la même réflexion que toi avant concernant le fait que ce soit une oeuvre littéraire comme c'est un roman, mais j'ai eu envie de creuser et comme quoi, il y a pas mal d'arguments contre, surtout si on entend "oeuvre littéraire" = "chef d'oeuvre".
      A tout de suite chez toi :p

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  2. Très belle réflexion sur une série qui a fait naître bien des lecteurs... Je n'ai jamais vraiment considéré Harry Potter comme une oeuvre littéraire, c'est certain qu'on est loin des grands classiques ou du chef d'oeuvre. Je pense tout de même que c'est presque devenu un indispensable lecture, que je ferai découvrir à mes enfants, mes petits enfants, mes neveux, peu importe, mais il faut qu'ils vivent ça également. Par rapport au fait qu'il s'agisse de littérature Young Adult, oui et non. Comme tu le dis, les premiers tomes plairont aux plus jeunes, c'est au début une oeuvre à la base purement jeunesse (9-12 ans) qui a évolué en même temps que ses lecteurs, et je suis vraiment contente d'avoir eu l'occasion de grandir en même temps que la série.

    Le problème que je rencontre en ce moment, c'est que je ne vois aucune saga jeunesse qui puisse vraiment détrôner HP. Ce n'est même pas par nostalgie ou à travers le bête et méchant "c'était mieux avant", mais vraiment, même les Hunger Games et autre Divergente n'ont pas atteint le stade de HP, et ils sont quand même bien différents dans leurs histoires. Alors si ce n'est pas une oeuvre littéraire à proprement parler, ça reste quand même un sacré monument et je suis vraiment curieuse de découvrir la série qui saura le faire "oublier"...

    Je ne sais pas si ce commentaire a réellement un intérêt face à ton texte si bien concocté, mais tant pis !

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    1. Tu es bien gentille avec mon article... je le trouve bâclé et inabouti. Je l'ai écrit d'une traite un soir après quelques jours de réflexion et n'y ai pas retouché depuis... Mais comme je vois que certains s'y intéressent, je vais essayer de le peaufiner un peu. Merci de ton passage en tout cas :)
      Je pense comme toi qu'il sera difficile de détrôner Harry Potter. Même la Passe-Miroir, qui est vraiment très bien, ne l'égale pas. En revanche il peut égaler ou presque, en version française et moins élaborée, les Royaumes du Nord de Pullman (ce qui est déjà pas mal !). Ce qui fait le succès d'HP selon moi, c'est la longueur de la série mais aussi la magie qui s'associe à une atmosphère scolaire, qui peut parler à tous.
      Ceci étant, peut-être que le ou la futur(e) JK Rowling est né(e) !!

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