jeudi 7 mars 2013

Le chagrin en question


Le chagrin, Lionel Duroy


Le titre est comme un leitmotiv qui revient tout au long du livre, et ne doit bien entendu rien au hasard. Ce n’est pas un titre qui trompe : il va bien il y avoir des pleurs et de la peine dans ce roman. Toutefois, ne vous attendez pas à être apitoyé tout du long ; les sentiments sont mitigés, et peuvent diverger selon la manière dont on se place.
Venons-en au vif du sujet : Lionel Duroy, sous couvert du narrateur William, nous raconte dans ce « roman » rien d’autre que sa vie, de sa naissance à la parution de son autobiographie Priez pour nous. Il nous raconte ses frères et sœurs, leurs aventures et leurs galères. Surtout leurs galères…
Il est le quatrième de dix enfants ; on peut dire que ses parents s’aimaient. Le problème était que sa mère veut vivre dans le luxe, train de vie qu’elle ne peut se permettre, toute baronne qu’elle est, et que son père, piètre calculateur, fait tout pour lui permettre de vivre comme une duchesse.
Avec son regard d’adulte, l’auteur (ou le narrateur, mais enfin personne n’est dupe) juge cette famille unie mais où chacun est plus ou moins anéanti par les ennuis perpétuels qui leur tombent dessus (expulsions à gogo, lettres d’huissiers, saisies, renvois de l’école bref… tout un pannel d’évènements qui ne peuvent permettre à des enfants de s’épanouir comme il le faudrait). L’auteur critique donc cette vie qui lui a tellement pesé, et on le comprend. Toutefois, c’est ici que le bas blesse. En effet comment, en tant que lecteur, doit-on se positionner face à une telle charge critique ? Vers la fin du livre, Lionel raconte comment il a fini par être banni de la famille à cause de ce livre où il raconte les galères de tous sans mâcher ses mots. Ses mots qui ont anéanti la réputation de sa mère – qu’il dit vouloir tuer grâce à son livre et ce qu’il réussit d’ailleurs-, de son père, de sa famille toute entière. Alors, doit-on cautionner, sous couvert de fiction, un tel déchaînement de haine ? Surtout, dois-je rapporter ici les critiques émises par l’auteur sur les membres de sa famille ? Si l’on considère qu’il s’agit d’une fiction, on le peut. Ainsi on étudie bien Vipère au poing à l’école, alors qu’on se doute bien de la forte par autobiographique de l’ouvrage. Mais ici ? Comment recevoir un livre dont l’auteur nous dit que sa genèse, ce Priez pour nous, a fait tant de dégâts ? Avec la presse qui en rajoute, avec les proches qui s’insurgent, les amis qui se détournent… Il a détruit sa famille en voulant s’en échapper. Cela peut se comprendre. Mais je pose toujours la question : comment le lecteur doit-il prendre cela ?
Pour le reste, je dois dire que j’ai passé de superbes moments avec ce livre, qui raconte une enfance, une jeunesse, des années 1940 aux années 90. Les bêtises, les amours, les emmerdes, et la fin… Fin dont j’ai assez parlé d’ailleurs. Un long long bouquin, mais que j’ai eu  du mal à lâcher finalement. Bref, en dépit de mes questions, j’ai adoré !

mardi 5 mars 2013

La série télé entre vos mains


Doggy Bag saison 1, Philippe Djian

Cela fait longtemps que ces livres sont dans ma bibliothèque, mais je ne m’y étais pas encore lancée. Une série de bouquins à la manière d’une série télé, cela me laissait septique… N’en voit-on pas assez à longueur de journée, sur tous les écrans, dans toutes les langues, et de toutes qualités ? On zappe d’images en images, au rythme de nos envies, mais également au rythme de ces « soap » qui enchaînent les épisodes, les répliques cinglantes, les archétypes.
Mais finalement, ayant besoin de légèreté dans mes lectures en cette période de vacances (l’esprit a besoin de repos aussi !) je me suis lancée dans le premier opus, que j’avais emmené, avec une certaine perspicacité, dans ma valise.

En dépit de nombreuses critiques négatives que j’ai pu lire à son propos, le Doggy Bag de Djian n’est pas si mauvais. Même s’il est vrai qu’on peut le prendre pour une espèce de mic-mac de restes de ses autres livres, il n’a pas conservé que les plus bas morceaux, et a agrémenté les reliefs de ce Doggy Bag d’une saveur inattendue voire jamais vue.

On retrouve comme toujours énormément de scènes et de pensées sexuelles. Sans cela, ce ne serait pas Djian. Les femmes ont encore et toujours une place à part, celle qui éveille les plus ardents désirs mais qui console et réconforte. Celle qui est frustrée aussi par les hommes, qui finalement semblent toujours essayer de mener le monde par le bout de leur… . Bref, vous avez compris.
L’histoire en elle-même n’a rien de transcendant, et s’inspire clairement des séries télé américaines : deux frères, propriétaires d’un garage, entretiennent des liaisons ici et là, jusqu’au jour où Edith, l’amour de leurs 20 ans, refait irruption dans leur vie. Raz de marée en jupes courtes, elle bouleverse littéralement l’équilibre de l’entourage des deux frères. Bon, en trois lignes, voilà le résumé.

Toutefois je vous ai parlé de saveur inattendue, et vais essayer de vous persuader que je n’ai pas menti. Sous couvert de ces clichés, Djian réalise un véritable tout de force littéraire en nous proposant ce qui s’apparente à un mélange salé de scénario et de vaudeville. En effet, tout s’enchaîne à une vitesse phénoménale. Les répliques fusent, les personnages se croisent et se décroisent, les paragraphes s’enchaînent voire se déchaînent. Il faut parfois avoir le cœur bien accroché puisqu’au sein d’un même paragraphe il n’est pas rare de passer d’un lieu à un autre, d’un évènement à un autre, d’un frère à l’autre, enfin voilà. Et ce qu’il y a de remarquable, c’est que tout s’enchaîne sans que le soufflé s’écrase, et surtout sans qu’on en perde le fil. Je n’ai finalement au aucun mal à m’y retrouver (en plus, Djian dresse la liste des protagonistes en début d’ouvrages, tel un dramaturge, et c’est véritablement ce qu’il est ici !). Je pense qu’une fois qu’on a accepté de se faire trimbaler à ce rythme effréné, on ne peut que suivre, ou tout abandonner.

Il est vrai qu'ici Djian ne fait pas de la grande littérature ni un récit inoubliable, mais que la forme de ces romans est à couper le souffle (dans les deux sens du terme). Oubliées les descriptions, oubliés les personnages fouillés. On entre dans les pensées, on pénètre dans les maisons, on espionne les scènes les plus intimes mais sans s’y attarder, sans prendre le temps de comprendre réellement ce qui nous arrive. On est loin loin loin du roman balzacien ; on est face à la modernité littéraire, celle qui s’imprègne du monde dans lequel on vit, de sa vitesse, de sa culture, de son besoin de divertissement. Djian nous divertit, à 100 à l’heure, comme dans une montagne russe qui parfois donne mal au cœur mais nous laisse toujours un sourire un peu béat aux lèvres.
Je ne sais pas si je vous ai convaincus mais en tout cas, pour ma part, je pense bien continuer la série !

samedi 2 mars 2013


Les quelques romans de Laura Kasischke que j’ai lus et dont je n’ai pas encore parlé

    Il y a quelques mois, ma maman –qui a toujours une énorme longueur d’avance niveau lectures et découvertes, et dans la bibliothèque de laquelle je pioche plus volontiers que sur n’importe quelle table de sélection de libraire- m’a fait découvrir cette auteur américaine, qui a publié un certains nombre de romans. Elle y met en lumière la vie aux Etats-Unis avec une certaine finesse, et a un talent particulier pour rendre compte de sentiments adolescents. Elle a en cela quelque chose de Joyce Carol Oates, sans la puissance démiurgique. Elle me semble, en quelque sorte, secrétaire de la vie de banlieue de femmes et d’adolescentes des Etats-Unis modernes, en proie toutefois à des situations qui n’ont rien de très banal… Une secrétaire qui aime plonger ses personnages, tout droit sortis de la vraie vie, dans des situations qu’on ne rencontre pas aisément dans cette « vraie vie » (et heureusement), et qui cependant n’ont rien d’impossible. En bref, la situation initiale est plausible, la fin des romans fait froid dans le dos. Voilà l’espèce d’équation que j’ai pu déduire de la lecture de trois romans de Laura Kasischke (dont je vous mets au défi d’épeler le nom !) : Un oiseau blanc dans le blizzard, A moi pour toujours, et le dernier en date (pour moi) En un monde parfait. Concernant la cohérence de son œuvre, au vue du peu que j’en connais, je peux déjà vous donner un indice : les titres ne sont pas choisis au hasard, et on se rend compte à la fin de la lecture à quel point cette fin incroyable et inattendue nous était presque donnée à travers le titre…
Chacun de ces romans met en scène une femme au destin brisé ou en passe de l’être, entourée d’adolescents dont l’évolution sera plus ou moins au centre de l’intrigue.


    Venons-en au premier que j’ai lu, à savoir Un oiseau blanc dans le blizzard. Maman me l’avait présenté comme un espèce d’ovni, ni polar ni simple roman de mœurs, un livre inattendu qui pourtant, à ma grande surprise, commence d’une manière somme toute assez classique : une mère de famille de la banlieue new-yorkaise, agacée par époux, fille et ménage, disparaît. On pense qu’elle a pris le large… et pourtant, il n’en est rien, comme nous le découvrons avec stupeur à la fin. Je ne peux toutefois pas me permettre de vous la dévoiler cette fin ; elle m’a trop surprise, voire bouleversée. Cependant, je vais malgré tout l’évoquer en bas de page, afin que ceux qui voudraient voir ma théorie de l’équation illustrée puissent trouver satisfaction. Ceci étant dit, on peut s’attendre à beaucoup de choses de la part de cette intrigue. Plusieurs points de vue s’offraient à l’auteur et personnellement, je m’attendais à ce que nous soit contée la fuite de la mère, ses retrouvailles avec la liberté, le vent de la liberté, des hommes, de la jeunesse perdue. Mais pas du tout. C’est en réalité la vie de sa fille et de son époux, après sa disparition, qui sont le cœur du roman. Sa fille qui a un petit ami que la mère trouvait à son goût ; cette même fille dont on suit l’évolution pendant trois ans, trois ans sans mère mais finalement sans joug, libre de devenir jolie, féminine, même de chiper les vêtements de cette mère souvent détestée (elle est semble-t-il partie sans rien). Son époux, qui est au début totalement perdu, retrouve l’amour, la liberté. Finalement c’est bien de liberté dont il est question, mais pas celle qu’on aurait pu attendre. Voilà en quoi cette auteur surprend : elle nous emmène dans des directions que l’on n’aurait pas forcément soupçonnées, elle nous surprend à chaque page ou presque, et au bout d’un moment, on finit par se dire que quelque chose cloche… Surtout que la mère ne revient jamais… Mais stop, j’en ai trop dit pour ceux qui ne voulaient rien savoir ! Les autres, je vous renvoie comme prévu en bas de page.

    J’ai acheté moi-même le second roman, forte de cette première expérience et des informations que j’avais pu glaner sur ses romans ici et là. J’avoue l’avoir acheté par pure symbolique au début : en effet, la couverture représente un cœur de Saint-Valentin, et nous étions le 13 février. Pur sentimentalisme donc, pour finalement découvrir encore une fois une intrigue inattendue – bien qu’un peu moins que celle qui précède. Dans A moi pour toujours, locution amoureuse qui, les lecteurs le constateront- n’a rien de bien romantique, l’histoire commence par un billet doux dans un casier de la Faculté de Lettres. Notre héroïne, épouse, mère et professeur de fac ayant dépassé la quarantaine, croit donc avoir un admirateur secret… S’ensuivent des tas de situations rocambolesques - teintées cependant d’un certain trouble- mettant en scène la meilleure amie, le mari, le fils, et les amants potentiels. Jusqu’au jour où elle rencontre vraiment un amant, mais ce n’est pas celui des billets… Où nous emmène-t-on encore ? Enfin maintenant, on l’aura compris, avec cette auteur c’est la question qu’il ne faut même plus se poser. Je laisse le plaisir à ceux qui le souhaitent de découvrir la surprenante résolution de cette étrange parenthèse de vie.

    Le dernier roman en date dans mes lecture est En un monde parfait. L’atmosphère en est d’autant plus surprenante que nous sommes plongés dans les années 2030-2040, en pleine apocalypse. Les Etats-Unis sont touchés par une espèce de grippe, qui dissémine la population telle une épidémie de peste. Mais comme rien n’est en apparence cohérent avec Laura Kasischke, il n’est pas question de décrire le chaos, mais de parler d’amour. Une jeune hôtesse de l’air de trente ans, célibataire endurcie, épouse le commandant le plus séduisant du ciel, rendant jalouses toutes ses collègues. Seule ombre au tableau : cet homme et veuf et a trois enfants, dont le plus jeune a 9 ans. Nous allons donc suivre au fil du roman l’évolution des relations entre la jeune belle-mère et ses beaux-enfants, et particulièrement celle avec les belles-filles, qui ne sont pas toujours tendres… Mais comment tout cela peut-il évoluer en plein chaos ? C’est ce que l’on découvre avec une espèce d’impatience tout au long des pages. Le roman devient alors une sorte d’hymne à la cohésion, au partage, au retour aux vraies valeurs. Sans cependant tomber dans la niaiserie. Du grand art je trouve.

Pour ceux qui le souhaitent : la situation finale des romans !

L’oiseau blanc dans le blizzard, en réalité, n’est rien d’autre que le corps de la mère qui repose depuis trois ans dans le congélateur de la cave, soigneusement déposé par l’époux dévoué mais totalement bridé. Troublant n’est-ce pas !
A moi pour toujours, c’est finalement ce que souhaite en quelque sorte un fils pour sa mère. En effet ce dernier n’hésite pas à tuer un de ses camarades qu’il soupçonne d’être l’amant de sa mère… Une fin encore une fois inattendue, un peu tirée par les cheveux selon moi, mais qui a le mérite de surprendre !
Le monde parfait du dernier roman n’est autre que celui d’une apocalypse auquel la nouvelle famille survit, en l’absence du père et grâce à la pugnacité de Jiselle, notre héroïne. Et le tout sans niaiserie, promis !