dimanche 26 février 2012

Exit Ghost


Exit le fantôme, Philippe Roth

Nathan Zuckerman vit en ermite depuis plus de onze ans, à plus de deux-cents kilomètres de New-York. Mais vient toujours un jour où l’ermitage doit voir partir son locataire, pour un temps plus ou moins long. Dans le cas de Zuckerman, ce n’est rien moins que sa vessie qui fait office de déclencheur ; parce qu’elle se déclenche trop souvent, justement. Agé de plus de soixante-dix ans, notre monsieur souffre d’incontinence, en plus d’une impuissance liée à un ancien cancer de la prostate. Pas de chance…
Pourtant, après une vie où rien ne se passait, où tout était réglé, c’est la chance, ou plutôt le hasard, auxquels Zuckerman cède la place. En deux jours à New-York, il se retrouve plus de fois confronté aux hasards de la vie qu’au cours des onze dernières années. On aurait pu croire que le monsieur, cet écrivain double de l’auteur, se serait terré bien à l’abri dans sa chambre d’hôtel, sans bouger, avec ses vieux livres, en attendant que la tempête passe. Mais contre toute attente, c’est l’inverse qui se produit.
Notre homme, parfois victime d’un alzheimer naissant qui lui embrouille l’esprit, répond présent à toutes ces sollicitations du destin. New-York ça bouge ; alors il joue le jeu, et entre dans la ronde un peu diabolique de toutes les tentations de la grande ville.
La première des opportunités n’est pas des moindres : une annonce pour échange de maisons avec un couple de new-yorkais. La trentaine, lui bon parti et aimant, elle riche et séductrice. En plus de l’aventure du déménagement (qui aurait pu suffire à notre homme vu son âge, mais ne faisons pas dans l’humour noir), c’est l’aventure de la passion qui repointe le bout de son nez après toutes ces années d'hibernation. Jamie fascine Nathan, et il ne cesse d’imaginer des scénarii en forme de dialogue entre elle, la jeune femme désirable, et lui, l’homme terni et diminué par l’âge. Une quinzaine d’années plutôt, alors qu’ils se rencontraient pour la première fois, lui grand écrivain, elle étudiante à la plume attentive, il semblait lui avoir plu. Mais maintenant, les années ayant laissé leurs traces, la fascination n’est plus vraiment de la partie, et encore moins l’attirance…
Bref, il tente de séduire une jeune femme bien plus jeune, alors que tout autour de lui lui montre qu’il n’est plus vraiment à la hauteur du rôle. La porte de sortie et son panneau Exit semblent clignoter quelque part… 

Richard Kilman est l’un de ceux qui, du haut de leur jeunesse musclée, lui rappellent qu’il n’est plus l’homme vaillant et plein d’espoir qu’il était. Ce Richard tueur d’homme (mais Zuckerman n’est-il pas déjà en passe de devenir un fantôme ?) cherche à réaliser la biographie de Lonov, un écrivain oublié qui aurait emporté avec lui un lourd secret, un secret à la mesure d’un Daniel Hawthorne (je ne spoilerai pas, même si ça n’a pas grande incidence sur le cours de l’histoire :p). Zuckerman, à juste titre, estime que ce serait tuer une seconde fois cet homme, dont la renommée littéraire, déjà bien mince, serait alors réduite à néant. Il s’oppose donc à Kilman, lequel, en plus de potentiellement devenir un biographe assassin, est également l’amant de Jamie, statut tant convoité par Zuckerman…
Au fil des rencontres et des opportunités, pendant une semaine plus riche en rebondissements que ses onze dernières années d’existence, on l’a dit, Zuckerman va peu à peu se rendre compte qu’il n’a plus tellement sa place dans le monde, mais aussi que la littérature et sa part de fiction se font peu à peu dévorées par le jeu de la vérité (où est l’autre moi proustien pour un homme comme Kilman ?), et que le monde va à vau-l’eau (il arrive à New-York en plein milieu des élections de 2004 qui voient la victoire de Bush). Tout semble bien flou et prêt à disparaître, comme ce fantôme, ce double de Roth, Zuckerman, qui signe semble-t-il avec ce roman la fin de sa carrière.
Le titre me fait d'ailleurs penser à une mise à pied, le créateur reprenant le dessus sur sa création, dans un dernier sursaut d’espoir, peut-être celui qui tout cela n’est bien été que de la fiction…

Le coeur cousu (et surtout ému)


Le cœur cousu, Carole Martinez

Soledad nous raconte une histoire surprenante : celle de Frasquita, sa mère, couturière magicienne. Aiguilles en main, cette jeune femme a, dès ses débuts, fait montre de talents exceptionnels. Mais comme elle le découvrira une nuit, initiée par sa mère à elle, elle n’est pas seulement une couturière hors pair ; elle a surtout des dons magiques. Rebouteuse aux fils arc-en-ciel, Frasquita va alors accomplir un certain nombre de miracles ; tout ce qu’elle touche de son aiguille se transforme, se sublime ou reprend vie.

Heureusement qu’elle a ces dons Frasquita, puisque dans son village, rien ne va comme elle le voudrait. La statue de vierge manque de vie ? Pas de problème, (attention je spoile !)on va lui coudre un cœur, et elle va rayonner. Son mari voit son coq favori anéanti lors d’un combat ? Rien de plus simple pour Frasquita que de recoudre plumes et plaies. Un jour c’est même un homme laissé pour mort à qui elle redonne visage humain. Tout ce qu’elle touche se transforme, se met à rayonner, à aimer même. Mais malgré tout, un jour, Frasquita quitte son village. Elle a été jouée par son mari (au sens propre!), et en plus de cela l’ogre sévit, et risque de s’attaquer à sa nombreuse progéniture. La jeune femme a en effet eu plusieurs enfants, des filles et un garçon, tous ayant une particularité : l’une ne parle pas, l’autre a aussi des dons, la dernière est revenue de la mort et le garçon est roux (conception moyennâgeuse de la rousseur, mais on est dans un conte, tout est possible !) . Soledad, la plus jeune, la toute dernière, née dans le sable du désert, est quant à elle, comme son nom le laisse entendre et comme on l’apprend dès l’incipit, destinée à la solitude.
A l’extérieur comme à l’intérieur du village, tout est un peu magique autour de Frasquita. Dans ce roman qui flirte avec l’épopée et le conte, on rencontre des sages-femmes un peu sorcières, des médecins mangeurs d’enfants, des révolutionnaires sanguinaires et des héros sans peur. Avec un tel casting, promesse est assurée : on ne s’ennuie pas.

Certes, certains épisodes doivent être pris tels qu’ils sont : fabuleux, dignes d’un conte, un peu abracadabrantesques donc. Mais dès lors que l’on garde cela en mémoire au cours de la lecture (presque 400 pages tout de même), on n’est presque jamais déçu.

Un dernier point est à noter : la dimension métatextuelle de l’ouvrage. La métaphore du fil, du tissu, de la couture, n’est pas sans rappeler l’étymologie du texte, à l’origine un tissu sur lequel on écrit. Soledad, qui raconte l’histoire de sa mère, n’a de cesse de nous rappeler qu’avec ses aiguilles, cette femme a tissé sa vie, comme à la fin elle l’a fait avec les robes de mariées de ses filles. Un destin retracé, cousu et recousu, harmonieux ou rapiécé, qui ne laisse pas en tout cas le lecteur indifférent.