dimanche 2 décembre 2012


Rien ne s’oppose à la nuit, Delphine de Vigan

Il y a de ces livres qu’on lit d’une traite, et qui laissent sur nos vies une marque plus ou moins sensible. Ce dernier ouvrage de Delphine de Vigan, dont je commence à plutôt bien connaître le style – un peu malgré moi je dois dire, au fil des occasions, d’abord No et moi que je n’ai pas lu mais dont on m’a beaucoup parlé, ensuite Jours sans faim qui m’a plutôt marqué, puis Les Heures souterraines qui m’a ébranlée à cause de la vérité assez horrifiante des faits, puis Un soir de décembre, abordé par hasard. Bref, ce dernier ouvrage, encore en grand format, frais émoulu de la plume de son auteur, a été entre mes mains quelques jours, et ce pour des moments forts.
Dans ce livre à matière autobiographique, Delphine de Vigan raconte sa mère, Lucile, la dame bleue, bleu de la mort, bleue de la danse, bleus de la souffrance. Elle brode le canevas de l’histoire de cette femme toujours mystérieuse, dont les parents et les frères et sœurs n’ont jamais su grand-chose. A l’aide de témoignages divers, de carnets retrouvés, de cassettes enregistrées, Delphine de Vigan construit son œuvre. Ce matériau comme elle l’appelle, d’origine familiale, ne laisse personne indifférent, remue les esprits et les cœurs, mais elle avance, il le faut, elle doit le faire, depuis le temps qu’elle dit qu’elle va écrire sur sa mère.

D’abord son enfance, qui m’a fait penser à Simone de Beauvoir, peut-être à cause de l’ambiance parisienne de la famille (pourtant nombreuse ici). Et puis son adolescence, mélange de Beauvoir et Sarraute. Ensuite sa vie adulte, qui ne ressemble à aucune autre, pleine de cris et de folie furieuse. Mais maintenant, j’ai des images plein la tête, issues de ce livre. Il est de ces ouvrages qui laissent des scènes en tête, un peu comme dans un film. Et en plus de cela, il nous amène à penser, à réfléchir, sur la famille, ses malheurs, ses douleurs, ses secrets. Enfin les trois sont un peu la même chose… Le secret est douloureux, la mort est douloureuse, la douleur des siens est une douleur sans fin. C’est peut-être cette douleur que Delphine de Vigan a voulu exhumer pour mieux l’emprisonner, à travers les pages de ce livre. C’est peut-être ça, ce que le jour doit à la nuit… 

vendredi 12 octobre 2012

Hommage à la Norvège


Hommage à Anne B. Ragde

Non non, elle n’est pas morte cette dame, au contraire, et j’espère qu’elle va continuer à sortir plein de livres de sa froide Norvège, plus passionnants les uns que les autres.


Pour commencer dans le froid, je vous parlerai de Zona Frigida, premier roman que j’ai lu de cette auteur. Ça a été un coup de cœur. Je sais quand un livre va me plaire vraiment beaucoup parce que je le lis vraiment très vite, par rapport à d’autres livres en tout cas. Celui-là, il était difficile de me l’enlever des mains, donc bon… Au premier abord, l’histoire peut paraître étrange : c’est celle d’une jeune femme un peu pommée, un peu à les Despentes, qui part en croisière dans un lieu atypique : dans l’Océan Glacial Arctique. Elle prend place à bord d’une espèce de chalutier aménagé, accompagnée d’une douzaine de personnes, équipage inclus, et traverse les glaces. Glaces des mers, mais aussi des hommes. Elle rencontre des ours, des phoques, des fous et des nounours. Bon dit comme ça ça ne donne peut-être pas vraiment envie… Mais il y a quelque chose dans la manière de raconter, d’écrire, dans le rythme de l’histoire qui fait qu’on est pris dedans, un peu comme un bateau dans les glaces, sauf qu’on y est bien, dans la mer d’Anne B. Ragde (pourquoi ce B. d’ailleurs, qui rend son nom limite imprononçable, une sorte d’éternuement, je ne saurais pas vous dire. Et je n’ai pas envie de chercher parce que finalement, les atchoums, ça fait son charme). D’autant plus qu’il y a tout de même des intrigues assez prenantes, qui laissent les pages se tourner plus vite qu’on ne croirait. Une très bonne surprise !

Suite à ce grand plaisir de lecture, je me suis attaquée, quelques semaines plus tard, à sa trilogie. Un peu impressionnant de s’attaquer à une trilogie, même si chacun des livre ne dépasse pas les 400 pages. M’enfin tout de même…
Me voilà donc plongé dans l’univers de la morgue… j’ai été très déstabilisée… Mais on se rend compte, en continuant de tourner les pages, que ce ne sera pas uniquement cela, le roman. En fait, la morgue, c’est l’univers du premier des frères de l’histoire. Ils sont trois, et l’un est croque-mort. L’autre est décorateur de vitrines homosexuel jovial et raffiné, et le troisième est éleveur de porcs. Un sacré tableau ! Ces trois là ne se voient autant dire jamais, chacun à ses occupations. Mais parfois la vie nous rattrape, dans leur cas c’est même plutôt la mort, et ils se retrouvent au chevet de leur mère. Lorsque celle-ci vient à mourir, un certain nombre de secrets sont révélés, dont l’existence de Torrun, la fille de Tor. Je ne vous en dit pas plus, mis à part le titre du premier de la série : La terre des mensonges.
Enfin si, encore quelques mots, pour vous donner envie : les vies de tous ces personnages fort différents nous sont racontées, qu’elles soient parallèles ou entrecroisées, c’est fort ou léger, dur ou mignon ; tous les sentiments se croisent dans ce livre un peu chorale, mais assez peu ennuyant (exceptés quelques passages un peu longs, je le concède…).

La suite est formidable aussi : La ferme des Neshov ; c’est le nom de toute cette petite famille. Maintenant qu’ils se sont retrouvés, qu’ils sont liés par Torrun, cette jeune femme pleine de bonne volonté, les personnages vont se croiser, échafauder des projets, tenter de faire revivre cette ferme qui part à vau-l’eau, les porcs et ses occupants avec. Encore une fois, plein de sentiments, et une lecture qu’on a du mal à abandonner. C’est fort et frais à la fois, ça fait du bien en fin de journée.

Pour ce qui est du dernier,  je ne l’ai pas encore lu, mais on m’a dit qu’il n’avait pas la qualité des deux autres. A voir !

Les Heures souterraines


Les heures souterraines, Delphine de Vigan

Mathilde et Thibaut, chaque jour depuis bientôt un an, évoluent dans leur vie comme dans un souterrain. Ils se cognent au quotidien, aux aspérités de leurs relations, aux difficultés de trouver une issue à ce qui les détruit peu à peu. Ce sont deux destins croisés, dont on se demande à chaque page s’ils se croiseront pour de bon.

Mathilde est mère célibataire ; on apprend au cours du roman qu’elle est veuve. Elle élève seule ses trois fils, des amours de fils. Thibault est médecin urgentiste. Chaque jour il rencontre des dizaines de patients, plus ou moins souffrants, plus ou moins en détresse. Mais ce qui préoccupe le plus nos deux personnages, ce n’est pas ce quotidien difficile ; c’est plus et pire que cela. Mathilde souffre de son patron, qui après avoir fait d’elle son bras droit, la mutile, la détruit un peu plus chaque jour. Thibault, lui, va aussi se mutiler, en rompant avec sa petite amie.
Avec le portrait de Mathilde, en focalisation interne (comme celui de Thibault d’ailleurs), on voit se dessiner un portrait peu glorieux de l’entreprise, de ses souffrances, de ses coups bas. C’est finalement une lutte de tous les instants entre les forts et les faibles, les soumis et les dominants. Mais le plus dur, c’est que les rôles changent, caractères et caprices de chacun ayant une influence sur ce microcosme chaotique. Mathilde souffre chaque jour, et peut-être plus particulièrement en ce 20 mai, jour qui nous est conté, puisqu’elle sent que quelque chose va changer dans sa vie, mais que tout tarde à venir. Les espoirs se crèvent un à un comme des bulles de savon.

Pour tout vous dire, tout au long du roman, j’ai espéré que Mathilde rencontre Thibault. J’ai espéré, espéré, à chaque page je me disais « c’est pour bientôt », ils ont tout pour être ensemble, leur douleur et leur impuissance face au monde donne envie d’une rencontre, une rencontre qu’on pense salvatrice pour tous deux. J’ai tourné les pages, et oui ils se rencontrent… mais dans quelles circonstances, je ne le dirai pas. J’en ai déjà trop dévoilé.


jeudi 26 juillet 2012

Bye Bye Blondie, bonjour Virginie !


Bye, bye Blondie, Virginie Despentes

Dès qu’un roman est adapté au cinéma, forcément, il fait plus de bruit, et plus d’émules. C’est ce qui s’est passé pour moi. Peut-être cependant que je l’aurais lu quand même un jour, parce qu’Apocalypse Bébé m’avait vraiment plu. Mais je ne l’aurais sans doute pas lu cette année. Enfin je n’en sais rien ; trêve de spéculations, passons aux choses sérieuses : Bye, bye Blondie, pour ce qui ne connaîtraient pas, c’est quoi ?
C’est l’histoire de Gloria, de son vrai nom Florence, mélange de punk junkie, envoyée très jeune en HP comme elle dit (hôpital psy, comme on dit aussi), pour ses accès de violence. Elle est un peu barjo Gloria, en marge, punk quoi. Et là bas elle rencontre l’amour. On peut penser que l’histoire sera niaise mais il n’en est rien, grâce au style coup de poing de l’auteur. Je vous explique. En refermant le livre en cours de lecture, je me suis surprise à penser : c’est dingue de retranscrire aussi bien les pensées et le langage d’une ado rebelle. Mais en reprenant ma lecture, je me suis rendue compte qu’en réalité, faute d’homodiégèse (récit à la première personne), on était dans une focalisation alternant interne et externe. L’auteur retranscrit certaines des pensées du personnage, comme si l’on était dans sa tête, tout en nous racontant l’histoire. Elle use de mots très « punk » et « in », le langage est cru, les pensées et les actes à la limite du cruel. C’est sensuel aussi, parce qu’il y a de l’amour quand même. Bref, l’histoire prend un certain relief très punchy comme on dit, même si parfois c’est un peu lassant de lire des mots en verlan et autres tournures étranges un peu désuètes. En effet le roman est constitué en son centre d’un flash back sur l’adolescence de Gloria, dans les années 80. Au moment du récit, elle a trente cinq ans. La fleur de l’âge, et pourtant une même folie adolescente ; une folie violente et agressive. Et c’est à cet âge improbable, où les autres en sont au stade métro-boulot-dodo-biberon (ou école) qu’elle retrouve Eric, son amour d’HP. Et là, tout change pour elle, quoi que… le naturel revient souvent au galop, et ce qui est pour beaucoup une affaire de crise d’adolescence est pour Gloria une plaie qui va lui compliquer la vie.
Un bon roman, bien écrit (malgré un jeu étrange avec la ponctuation et la syntaxe, un peu inutile selon moi, les mots suffisant à retranscrire le style jeun’ss des années 80…), dynamique et qui tient en haleine. Malgré ses failles béantes, je me suis beaucoup attachée au personnage de Gloria, qui cherche le bonheur en luttant comme elle peut contre ses démons. Eric est également chouette dans son genre. Des personnages complexes, pas trop stéréotypés, dont le langage est retranscrit dans toutes ses variations et subtilités. Une histoire d’amour comme on en voit peu, et la variété, ça fait du bien !

vendredi 20 juillet 2012

Un pendant féminin à notre Etranger

Thérèse Desqueyroux, François Mauriac 

Tuer sans raison, sans préméditation, dans la torpeur d’une après-midi d’été, quand tout le monde s’agite autour de soi, quand tout le monde craint un incendie qui n’a pas pris, alors que le drame se déroule sous leurs yeux ; tuer ainsi semble inhumain, impossible, inconcevable. C’est pourtant ce qu’a fait Thérèse. Thérèse dont le procès a eu lieu, dont le destin est scellé : non-lieu. Des mains de la justice, elle passe dans celles, impitoyables, de son époux, Bernard, la victime. Si tous veulent garder la face, la vengeance malignement ourdie ne leur fait pas peur.
Les monstres dans l’histoire ne sont peut-être pas ceux qu’on croit.
Alors que son procès est terminé, Thérèse revit, dans le train qui la ramène auprès de son mari, son enfance, son passé, sa vie. Comme si elle cherchait, dans ces limbes, à trouver la raison de son acte, une origine quelconque, quelque chose qui puisse justifier ce geste malencontreux qui aurait du coûter la vie à ce mari plat, conventionnel, insensible. Elle prépare également sa défense, pour quand elle le verra. Il lui demandera sûrement pourquoi elle a fait cela. Mais non, il ne le lui demandera pas…
Dans une sorte de monologue intérieur au présent de narration, l’auteur nous présente les pensées de Thérèse, ses souvenirs. Elle nous parle de son amie Anne, de sa passion pour Jean, de ses chaudes après-midis ennuyeuses au milieu de la lande. Thérèse revit son passé parce que d’avenir, elle n’en a pas. Elle est acculée à un destin, destin qui, comme dans une tragédie, devait advenir et contre lequel elle ne pouvait lutter. Pourquoi laisse-t-elle Bernard boire ce verre dans lequel trop de gouttes ont été versées ?
Thérèse revoit Bernard, la tête tournée, écoutant le rapport de Balion
Tel L’Etranger de Camus, elle a agi sans penser, en proie à une force ayant pris la forme de la torpeur. Le soleil, les sensations violentes ont eu raison du coup de feu sur l’Arabe. Ici, c’est le feu, l’agitation ambiante et l’indifférence de Thérèse qui l’ont acculée à son destin. Comme lui, elle a été humaine, trop humaine ; la nature et la volonté de vivre heureuse ont pris le pas sur la raison, les conventions. Toujours Thérèse avait parue étrange : on ne disait pas d’elle qu’elle était belle, mais qu’elle avait du charme. Hors conventions qu’elle était.
Cette femme étrange, tout au long du roman, sombre, descend vers le tombeau. Elle ne peut plus rien, elle est acculée. Ses bourreaux sont ceux qui l’ont aimée ; ses proches sont ceux qui l’enterrent vivante, dans cette maison d’Argelouse, village retiré, loin de tout, où il fait froid et sombre.
Argelouse est réellement une extrémité de la terre ; un de ces lieux au-delà desquels il est impossible d’avancer […].
Aux confins du monde, ainsi esseulée, mise au banc de la société, elle se laisse dépérir. Elle n’a plus que la parole pour vivre, et de celle-là même, elle ne s’en sert pas. Elle n’est plus qu’un corps moribond. Sa vieille tante, Clara, la sourde, ne supporte pas cette torture de voire celle qu’elle a élevée ainsi enterrée vivante, si froide et sans vie. Elle préfère se laisser mourir. Ce personnage est d’ailleurs l’un des plus attachants du roman. Elle n’entend rien aux conventions, de même qu’elle n’entend pas les gens parler. Elle cherche paix et silence, elle ne joue aucun rôle puisque sans bruit, le théâtre n’existe pas.
Thérèse a peut-être voulu donner du piquant à sa vie, réveiller l’humanité de son mari enfermé dans ses conventions en commettant son meurtre. Elle a flirté avec son destin, elle a joué le tout pour le tout, sans même s’en rendre compte. Elle est un personnage de tragédie. Mais dès lors qu’elle a approché la mort, on lui propose de revivre, de trouver un nouveau costume, lequel elle s’offre avec un certain plaisir pathétique. Elle se farde, se montre, fait front au destin que lui imposent les hommes cette fois : celui de mourir de leur main, sous le couperet de leur doxa rigide et vile. Préférant l’introspection et la solitude au babillage de sa fille, n’hésitant pas à flirter avec l’amant de sa meilleure amie, Thérèse se distingue de cette masse abêtie qui l’entoure, la nargue et veut sa mort. Par là-même, en se distinguant ainsi des autres, elle conquiert sa pleine puissance de personnage.
C’est ainsi qu’à la fin, fardée et esseulée, elle parcourt les rues de Paris, telle une des ces petites vieilles baudelairiennes, qu’on prend en pitié mais qui portent en elles un charme certain. Cette veuve qu’elle eut voulu être, elle le devient par le pouvoir de la fiction, et celui de notre imaginaire.

Avenue des ogres fous

Avenue des Géants, Marc Dugain

Al Kenner, en plus de mesurer 2,20 mètres et d’être pourvu d’un QI qui dépasse celui d’Einstein, est psychologiquement siphonné. Le jour de l’assassinat de Kennedy, alors qu’il n’a que 14 ans, il tue ses deux grands-parents d’un coup de carabine dans le dos, avant d’être interné dans un centre psychiatrique. Contre toute attente, il va ensuite devenir une aide pour la police : son passé et sa névrose de tueur font de lui un expert en psychologie criminelle.
Mais peut-on vraiment compter sur un type comme Al, qui a tué de sang froid et nourrit encore une haine envers sa mère alcoolique ? Lui aussi d’ailleurs est adepte de la boisson et s’enfile pas moins de quatre bouteille de piquette par jour. Son passe-temps favori ? Prendre des jeunes gens en auto stop. Je réitère alors : peut-on lui faire confiance ? Bien sûr que non, me direz- vous. Mais ce serait parce que vous n’avez pas lu le livre. En effet, tout au long de son récit a posteriori, Al décrit ses actes de manière précise et fine (mais pas tous ses actes, et c’est ici que réside le génie de l’auteur !). Au détour d’une analyse freudienne de son passé, il décrit également les transformations sociales qui s’opèrent dans les années 70 et sur lesquelles il porte un jugement sans bienveillance aucune. Son regard est acéré et ses remarques acerbes à propos des nouvelles communautés hippies qui se développent un peu partout. L’amour libre, l’échange bio et végétarien, le partage des biens, la contraception, … C’est joli tout ça, plein de peace and love, mais ça ne va pas à Al, qui méprise un peu ceux qu’il considère comme des crasseux idéalistes. Il méprise également les jeunes filles de bonnes familles républicaines, sur lesquelles il fantasme pourtant, lorsqu’il les prend en stop. Fantasmer est toutefois un bien grand mot : Al est quasi insensible. Il projette pourtant de se marier avec Wendy, la fille du lieutenant de police qu’il assiste et dont il devient l’ami. Mais cette union ne se fera pas, à cause des bizarreries d’Al, mais surtout à cause des crimes atroces qu’il va continuer à commettre…
Tout au long du livre on pense Al en rédemption, on pense qu’il a été acquitté, qu’il est redevenu « normal », apte à réintégrer la société. Pourtant, les moments qui se passent après l’écriture de ce qu’Al considère comme ses mémoires nous le montrent interné. Heureux mais interné. Il passe son temps à lire, et à méditer son passé. Finalement, toujours pas normal le bonhomme.
Et si je vous disais que tout ceci est inspiré d’une histoire vraie ? Un peu à la manière d’Emmanuelle Carrère dans L’Adversaire, Marc Dugain s’est emparé de ce fait divers américain pour construire une œuvre à l’architecture remarquable et au suspense omniprésent. Toutefois n’allez pas croire qu’il s’agit d’un thriller, puisque c’est l’analyse psychologique qui prévaut.  A cette lecture, on se rend compte avec effroi à quel point le passé et les relations parentales ont une influence sur l’avenir. Bon, il est vrai qu’Al devait avoir un terrain psychologique plus que fragile. Mais ceci dit, sa mère a vraiment été dure avec lui, et ses transports de haine à la fin de l’œuvre s’en ressentent. Je vous laisse d’ailleurs le loisir de découvrir l’ampleur de l’imagination et de la folie d’Al quand il s’agit de tuer…
Cynique ? Oui, mais ce roman joue avec les nerfs de son lecteur, avec sa confiance, sa capacité à juger de la morale et du crédit que l’on peut accorder à un personnage aussi extrême. Comme le dit l’auteur à la fin de l’ouvrage, romancer un personnage, c’est le trahir pour mieux servir ce que l’on ressent de sa réalité. Al, ou de son vrai nom, Ed Kemper, est une entité tellement complexe, tellement pleine de contractions, que sa réalité ne peut être qu’un ressenti, une perception totalement subjective. Et celle de Marc Dugain, convaincante selon moi, en fait un parfait roman. 

Dur dur d'être une Première Dame

Une si belle image, Katherine Pancol  

Il y a du y avoir bien des biographies de Jaqueline Kennedy : sa vie auprès du Président, l’assassinat, sa vie après, sa manière de gérer ses apparitions en public, sa notoriété, ses enfants et j’en passe. Mais une biographie qui montre l’envers du décor, les dessous du masque de la belle dame dynamique, souriante et accessible, il y a du en avoir peu.
Dans ce roman-biographie, Katherine Pancol dresse le portrait en négatif de la belle image type papier glacé que Jackie cherche à montrer à tous, tout le temps. Elle la montre triste, subissant le désamour de sa mère et l’amour immense mais mal distribué de son père. Toute sa vie ne sera qu’une lutte pour d’un côté retrouver cette figure du père auquel elle n’a eu de cesse de tenter de plaire, et de l’autre fuir les artifices qui sont ceux de sa mère. Elle va plus ou moins réussir des deux côtés ; mais là est bien le problème : cette réussite sera pleine de nuances.
Avec Kennedy, l’entente sera cordiale, sans plus. Rien à voir avec cet amour paternel après lequel elle court sans relâche. Il a un trop fort caractère pour s’attacher, et court les femmes. Le couple vivra ses moments de plus grande connivence peu avant l’assassinat de Dallas, quand le président aura compris o combien son épouse est un faire-valoir de prix. Pour oublier peines et sautes d’humeur, elle va finir comme sa mère par s’intéresser à la décoration et refaire celle de la Maison Blanche. Elle y restera peu de temps mais le résultat sera probant. Les vieux démons familiaux réapparaissent sans cesse. On l’a trop privé de liberté dans sa jeunesse, elle n’a pas pu se réaliser comme elle l’aurait voulu. Derrière son masque, elle n’est que l’ombre de ce qu’elle aurait pu être.
Ses relations avec les membres du clan Kennedy sont quant à elles plus ou moins houleuses. Toutefois, même après la mort de son mari, Jackie va continuer la politique ; ils ont bien compris combien elle était précieuse pour leur image. Cette « si belle image » qu’elle montre à tout va, au grand public surtout, cette image de l’Amérique lisse, propre, nette, brillante, lumineuse. Jackie a fait rêver les femmes de son temps, qui pensaient qu’elle avait la vie idéale. Or ses seuls idéaux, ce sont ses enfants. Jackie, sous son image d’icône, est avant tout une mère. Non pas Marylin Monroe, mais plutôt la madone. Une belle image aussi.
Un livre que j’ai beaucoup aimé. Le premier de cette auteur d’ailleurs, mais je crois qu’il se distingue de ses thèmes habituels. La couverture du livre de poche est très bien choisie je trouve : on a l’impression qu’on pourrait voir en négatif justement la véritable image qui se dissimule sous le papier glacé et les couleurs pimpantes. A lire pendant les vacances, ou même n’importe quand !
Lire ce livre m’a aussi donné envie d’en savoir plus sur les Kennedy, et plus particulièrement l’assassinat de Dallas. La vidéo qui montre le président s’effondrant sur son épouse est plutôt terrible…

mercredi 18 juillet 2012

Un classique au goût du jour

Bel Ami, Maupassant

C’est vrai qu’il est très délicat d’écrire un article sur un roman aussi connu, aussi étudié, autant lu. On a le sentiment que tout a été dit, écrit, analysé, bref, qu’on ne pourra jamais apporter quoi que ce soit de nouveau. Ce sentiment est réel ; je n’apporterai rien de nouveau à l’affaire. Pourtant que ne me priverai pas d’écrire ce que j’ai pensé, aimé, découvert dans ce roman que j’ai lu avec beaucoup de plaisir, pour la seconde fois.
Gorges Duroy, celui qui deviendra Bel Ami, est un séducteur : il séduit tout, et tout le monde. Femmes de tous âges, prenez garde. Aucune de vous ne résistera à ces petites moustaches, à ce sourire, à cette allure. Même sans le sous, Georges plaît, et il le sait. Attention aussi à vous, lecteur… l’écriture de Maupassant, dès l’incipit, laisse toutes les clés pour vous entraîner dans le labyrinthe subtil de l’ascension de ce fameux arriviste. On sait qu’on marche vers le haut, on se laisse emporter, presque emprisonner par ce destin implacable, mais les heurts et les rencontres rendent ce roman de l’achèvement sans pareils.
Des heurts, il y en a moult : le manque d’argent, la médiocrité du journaliste en herbe, la faim, le désespoir, la honte de ne pas savoir comment se comporter dans cette société. Le miroir est là pour le rappeler : Duroy n’est pas de cette trempe. Avec des parents paysans, il n’a pas connu les salons où l’on cause et les dîners par lesquels on devient. Pourtant, peu à peu, le reflet dans le miroir se transforme, et Georges devient comme eux, et pas seulement en apparence. Tout son être se meut en un être de passions : argent, pouvoir, désirs. Grâce à sa séduction et aux nombreuses (et heureuses !) rencontres, il finit par arriver.
Des rencontres donc. Il y en a également beaucoup, et heureusement ! Tout d’abord cet ami lors de l’errance dans la ville ; c’est lui qui va introduire Georges auprès du personnel du journal de Forestier. De là, invitation pour un dîner mondain. C’est là que toutes les rencontres se font, toutes à la fois : Clotilde, sa jeune fille, Madeleine et j’en passe. Des femmes surtout, et surtout celle qui va être à l’origine de la fameuse proposition d’article. Un article sur l’Algérie…
Mais Duroy n’a fait que du droit. Il est incapable d’enchaîner élégamment trois idées entre elles. Plumitif, il requiert l’aide de Madeleine Forestier, écrivaine en chef d’une bonne partie du journal. Mais ça c’est comme le reste : même si ce sont les femmes qui en réalité détiennent le pouvoir, on le cache. Virilité oblige. En tout cas, l’article est bon, forcément. Georges connaît son premier succès. Mais il n’y a que cela qui l’intéresse ; alors, quand il s’agit de continuer sa chronique quelques jours plus tard, même galère. La muse du journaliste n’est évidemment pas venue habiter sa plume.
De là s’enchaînent invitations et rencontres, premiers émois, premières passions. D’abord avec une prostituée rencontrée au théâtre ; ensuite avec Clotilde. Sans le sous, il a du mal à divertir cette femme du monde. Il peine à l’emmener ne serait-ce que boire une grenadine sur le coin de table d’une gargote. Alors c’est elle qui finit par lui donner de l’argent, en cachette. Voilà Georges Escort-Boy. Néanmoins il semble qu’il ait quelques sentiments pour cette femme sensuelle et amusante… ce sera bien la seule.
Pour réussir à Paris, on le sait, il faut avoir un nom, se marier. A la mort de Forestier, Madeleine épouse Georges. Aucune passion, aucun amour : tout est fade, frasques et pouvoir. Il prend la tête du journal. Il arrive Du Roy, il arrive. Toutefois il lui faut également le désir. Puisque cette femme ne le contente pas sur ce point, autant regarder ailleurs. Mais pas dans n’importe quelle sphère ; toujours choisir celles qui sont d’influence. Et voilà notre homme qui se marie une seconde fois, avec la fille d’un homme de pouvoir.
What else ?
On a ici incarné l’arrivisme, sous le manteau de la séduction et du désir. Duroy, ou comment réussir à Paris, au XIXème siècle, par l’intermédiaire des femmes. Le tout sous la plume d’un grand Maupassant, qui peint avec précisions les circonvolutions et les stratégies de cette âme maligne, séductrice et, disons-le, chanceuse. Le Rastignac du conteur.
On peut ne pas aimer Bel Ami ; c’est vrai qu’il est profiteur, trompeur, superficiel et avide de pouvoir. Mais pourtant, comme on sait ce qu’il a été, à savoir un garçon sans le sous attiré par ce qui brille, on peut se surprendre à suivre avec passion, nous aussi, les aventures de cet homme si humain.

Invisible, le dernier Paul Auster

Invisible, Paul Auster  

J’ai encore une fois beaucoup aimé ce nouveau roman de Paul Auster, d’autant plus qu’encore une fois, son héros n’est autre qu’un écrivain. Je les trouve fascinantes ces figures d’écrivain. Il leur arrive toujours des aventures hors du commun, ils sont tourmentés, étranges et étrangers au monde qui les entoure, que pourtant ils traduisent sur le papier. Ce sont un peu des marginaux, dans leur vie comme dans leur tête. Bref, ce sont des personnages tout trouvés !

L’écrivain-poète nous raconte dans ce roman à la construction complexe (comme souvent avec Auster, si on pense à Trilogie New-Yorkaise par exemple) les deux principaux évènements qui ont jalonnés sa vie : sa rencontre avec Rudolph Born et ses relations complexes avec sa sœur.
Dans la première partie de l’ouvrage, « Printemps », il est jeune, plein d’ambition, et étudie la poésie à la fac. C’est là qu’il va rencontrer Born, lequel va lui promettre carrière, articles, et autres monts et merveilles. Toutefois, comme on s’en doute, tout ne tourne pas comme il le souhaitait, et le pauvre jeune poète aux illusions finit par les voir perdues. Un meurtre, une passion non partagée, un exil… Voilà ce qui arrive quand on est aux prises d’un homme tel que Born, fort en gueule et influent. Puis vient l’ « été ». Partie plus délicate puisque son auteur, vieillissant, commence à faiblir. Notre narrateur a en effet plus de quatre-vingt ans quand il rédige ces sortes de mémoires. Ce sera donc son ami James Freeman qui, grâce aux notes plus ou moins éparses que notre héros lui aura envoyées, réécrira son histoire. O combien les mémoires se rapprochent alors de la fiction ! Une écriture à trois mains donc (Auster, son héros et Born, lui même auteur). Une construction complexe, ne vous l’avais-je pas dit ? C’est dans cette partie qu’il nous raconte ces fameuses relations avec sa sœur. Des relations d’amour qui iront jusqu’à l’inceste. Je n’en dirai pas davantage, mais c’est cru, fort, poignant. Je n’avais jamais rien lu de tel auparavant.
Pour le reste, c’est le récit d’un séjour à Paris et des raisons de son exil qui nourrissent la fin du roman. Beaucoup moins captivante selon moi. Peut-être est-ce du à la prise en main du récit par Freeman, qui n’a pas les souvenirs du narrateur. Peu à peu l’histoire comme son héros se délitent, laissant la place à des bribes de vie des personnages secondaires. Quand le narrateur est mort, l’histoire a selon moi perdu de sa saveur. Peut-être que j’étais fatiguée de lire aussi ; les moments forts le sont tellement jusqu’aux trois quarts, alors le rythme est moins intense, l’intérêt et la concentration peut-être aussi. Quoi qu’il en soit, ce fut un fort moment de lecture, et je ne mâche pas mes mots. Fort de par l’écriture, la structure, et les thèmes traités. Fort aussi dans sa dimension testimoniale d’un homme dont le destin d’être et de poète semble avoir été tracé dès sa prime jeunesse, avec toutes ces aventures qui ont été siennes.
Un roman que je conseille, et tant pis si la fin vous barbe un peu J

mercredi 11 juillet 2012

Lectures de début d'été

Pour commencer les vacances en beauté, rien de tel que des livres courts, mais remarquables. A vous de lire!

Zarbie les yeux verts, Joyce Carole Oates

Même si c’est un roman pour ado, Zarbie les yeux verts est un roman profond, aux personnages attachants et à l’intrigue presque trop réaliste. En effet il s’agit du déchirement du couple que forment les parents de Francesca, alias Frankie, alias Zarbie les yeux verts. Ce dernier surnom lui vient de ce fameux soir où elle a manqué se faire violer dans un coin sombre par un ado obsédé. Depuis, elle lutte. Elle s’efforce de ne pas craquer face aux absences de sa mère, aux disputes de ses parents, aux sautes d’humeur de son célèbre père, le commentateur sportif Reid Pierson. Elle essaie même de trouver le courage d’aider sa jeune sœur à affronter ce calvaire familial. Bref, Zarbie oui, faible non.
Joyce Carole Oates parvient à faire de ce drame adolescent un véritable tableau psychologique et social de l’Amérique qui cache sous le coal et les strass les pires vices, les pires failles, les pires blessures. L’analyse est fine, le point de vue de Zarbie reste celui d’une ado, mais dans toutes ses subtilités. Pas trop de clichés, un style fluide, remarquable parfois. Un bon roman, court en plus. Bref mais intense, comme on dit !

Vers le Sud, Dany Laferrière

C’est la construction remarquable de ce roman qui m’a le plus touché. L’entrelacement des intrigues amoureuses, dans une ronde effrénée où les protagonistes sont tour à tour blancs ou noirs, tant pour leur couleur de peau que pour leur manichéisme vacillant. Il y a les escort boys noirs, longilignes, félins. Et puis les femmes blanches, qui leur succombent à tous les coups. Il y aussi les filles du pays, de Port au Prince. Et tout ce petit monde se croise, surtout à l’horizontal. Pas seulement dans les draps, mais aussi sur le sable, la moquette, la banquette,… Ce livre parle d’amour, de sexe et d’universalité. Le sud a un attrait sensuel sur tous ces personnages de racines diverses, et tous les subissent, sans distinction. On ne peut que aimer. 

dimanche 3 juin 2012

nouveau bilan !


Trilogie New-Yorkaise, Paul Auster
Voilà un roman que j’ai dévoré. En trois histoires plus ou moins longues, l’auteur soulève les questions de l’identité, de l’écriture, de la vérité de la fiction et de la vie. Toujours les personnages sont en quêtes, observent, attendent. Quelle est la part de vérité et de mensonge dans ce que nous voyons du monde ? Cité de Verre ou Chambre dérobée ? Disparus ou non ? Les revenants sont partout, que ce soient les personnages ou les souvenirs.
Je n’en dirai guère plus, car je me souviens surtout des impressions que m’a donnée cette lecture : l’impression de toucher à nouveau à de la grande littérature, à celle qui pose les grandes questions sur le monde et sur elle-même, ainsi qu’à un grand style.
Je délaisse souvent mon blog cette année ; mais je n’oublie pas le plaisir qu’il y a à seulement coucher sur le papier (virtuel certes, mais page blanche tout de même) , les titres des livres que j’ai lus et qui ont jalonnés mon quotidien. Je me souviens de là où j’étais quand je l’ai lu, de ce que je me disais que j’aurais dû faire plutôt que d’avaler les pages (parce qu’avec ce roman je me suis surprise à avaler, alors que jusqu’alors j’apprenais juste à mâcher, déglutir, digérer des livres simples, qui font du bien). Je me suis attelée à la complexité avec Auster, sans le savoir, et renouer avec la littérature m’a donné le coup de fouet qu’il me fallait.
Depuis je lis beaucoup plus, beaucoup mieux. On ne peut mieux illustrer cette histoire de boulimie et de siestes digestives, que je tiens de Sartre je crois. Sauf que là ce fut pire qu’une sieste ; ce fut une disette, une période troublée, où l’intérieur ne trouvait pas de nourriture qui rassasiât. La vie avait pris le pas sur la fiction, dans ce qu’elle a de difficile, de troublant, de bouleversant aussi, de beau et de vivant.

La mort du Roi Tsongor, Laurent Gaudé
Dans une volonté de lire un roman qui n’évoque pas les sentiments, je me suis plongée, me surprenant moi-même, dans un ouvrage aux allures de conte oriental. Et ce fut chouette. En fait Laurent Gaudé raconte la guerre de Troie, à sa manière. J’ai aussi revue des images du Seigneur des Anneaux en lisant, et ça m’a plu. Je ne sais trop que dire de plus, à part que ça a été une bonne surprise !
Ah si quand même, concernant le rapport entre le titre et l’œuvre : contrairement à ce qu’on pourrait penser, il ne s’agit pas de raconter les évènements qui précéderaient la mort de ce personnage. Gaudé raconte en réalité ce que provoque sa mort : un tas de bouleversements dont de nombreux hommes et femmes, princes, guerriers et héritières, seront les victimes. Une tragédie à rebours.

Sobibor, Jean Molla
Lier l’anorexie à la question des camp, il fallait le faire. Et bien là c’est fait, et pas mal réalisé. A travers son problème dont la jeune fille cherche l’origine, se délie l’histoire d’un collaborateur maître des camps de la mort. Sobibor est d’ailleurs le nom du camp en question. J’avais déjà entendu évoquer ce titre, et je cherchais à savoir ce qu’il recouvrait : pour le coup, je n’ai pas été déçue, et l’ai lu très vite. Toutefois le thème reste dur ; il n’est jamais facile de se retrouver confronté à la question des camps, quelle que soit le traitement qui en est fait.

Apocalypse Bébé, Virginie Despentes
Le prix Renaudault qui sort en poche, je me suis dit qu’il était temps de le lire cet ouvrage dont on avait beaucoup parlé lors de la rentrée littéraire 2010. C’est donc chose faite, et avec un sentiment de rassasiement. Je n’ai pas été du tout déçue par ce roman, road trip qui mêle personnages et points de vue, détectives lesbiennes, femme à la Gabriel Sollis, jeune fille en déroute, bonne sœur et attentat. Tous les destins se croisent, évoluent, du sombre au brillant, du changement pour certains à la mort pour les autres. Un roman complet, qui comble par la variété des thèmes et des styles, puisqu’à chaque personnage son atmosphère et son parler. Un roman qui ne laisse pas indifférent, que j’ai eu aussi du mal à lâcher ; si j’osais, je dirais que j’aurais aussi voté pour lui en 2010 :).

Jours sans faim, Delphine de Vigan
Laure est anorexique, elle se soigne, elle reprend du poids, de la force, redevient elle-même. Elle tente de comprendre pourquoi elle en est arrivée là, pourquoi elle a infligé ça à son corps et à son esprit. Une centaine de pages pour raconter trois mois d’hôpital qui sont parfois difficiles, parfois joyeux, parfois heureux et même un peu amoureux. Un court roman touchant.

Cheyenne, Didier Van Cauwelaert
Il est tout jeune, elle est hôtesse l’air ; ils vont tomber amoureux, surtout lui. Ils vont se perdre de vue, la vie, normal ; et puis il va la retrouver. Enfin, c’est ce qu’il croit…
Un roman de jeunesse qui se lit très vite, qui émeut, qui surprend. Je ne dévoilerai en tout cas rien de la fin… !

Sous les vents de Neptune, Fred Vargas
Ma première rencontre avec Adamsberg, le fameux commissaire fétiche des romans de la célèbre Fred Vargas. Une rencontre riche en rebondissements, riche en psychologie aussi, une intrigue dont on devine rapidement les rouages à condition de faire confiance au personnage d’Adamsberg, complexe, guidé par ses instincts et son grand intellect. Je ne dirai rien donc de l’intrigue. Tout ce que je puis dire, c’est que ce fut un bon moment de lecture. Sinon j’ai commencé récemment Dans les bois éternels du même auteur, avec le même personnage principal, et ai été un peu déçue… Adamsberg devient peu à peu un type, ses traits deviennent grossiers, et rend l’ensemble un peu décevant. Mais je compte tout de même reprendre bientôt ma lecture car l’histoire de revenants, qui donne il est vrai quelques frissons dans le dos, m’a mise en haleine.

Le magasin des suicides, Jean Teulé
On a bien rit avec ce roman. Je dis on parce que je l’ai lu à haute voix avec mon piti chat, et on a bien ri. C’est comme du théâtre, comme une comédie. Les gens viennent au magasin des suicides comme à la pharmacie, chercher le meilleur remède pour mettre fin à leurs jours. C’est drôle, un peu noir parfois, tragique à la fin, mais surtout amusant. Il va bientôt sortir en film d’ailleurs !

Un Pedigree, Patrick Modiano
C’est l’autobiographie de Modiano dont on parle beaucoup et que je n’avais toujours pas lue. Comme pour tous ces livres que je n’ai toujours pas lus et que je voudrais lire, vient un jour où je peux dire que c’est chose faite. Ce jour est arrivé en avril 2012 : j’ai lu l’autobiographie de Modiano. Et bien c’était bien du Modiano : rapide, sans fioritures, avec parfois des indéterminations et des à peu près. Un peu obligé quand on écrit à partir de bribes de souvenirs attachés à des tickets de métro, à des lieux incertains, des noms vagues, des adresses froissées… Une reconstitution, une quête d’identité. Modiano dans toute sa splendeur et sa dimension intime.

Les Lépreuses, Henri de Montherlant
Une bonne surprise ! Je pensais que ce serait un roman un peu désuet du début des années 1900, mais rien à voir. Quatrième tome de la série des « Jeunes Filles », ce roman raconte l’histoire d’un auteur, Pierre Costals, libertin avéré et macho sans nom. Via des lettres et des passages de récit, on découvre (ou plutôt j’ai découvert, parce que normalement il s’agit de commencer par le premier tome, et non par le dernier…) à quel point il joue avec les sentiments de toutes ces jeunes filles qui tombent amoureuses de lui les unes après les autres, prétendant pour qui la passion littéraire, pour l’autre la dévotion christique, pour la dernière la nécessité d’accomplissement intime et sexuel. Bref tout un bouquet de jeunes filles en fleurs, mais que Costals n’arrose pas ou peu. Presque jamais il ne répond à leurs lettres, les laissant dans une attende qui les broie les unes après les autres.
J’ai lu ensuite Les Jeunes Filles, dans lequel le cynisme et l’ignominie de Costals sont encore plus jouissifs. On croirait un Valmont, mais un Valmont terrible. C’est horrible de dire ça en tant que jeune fille également, mais franchement, lisez et vous verrez à quel point elles sont ridicules également. Bref, peu de personnages remarquables dans ces romans, mais une histoire qui, malgré  sa vanité, me plaît. Il y a d’ailleurs encore deux tomes à découvrir !

Mr Vertigo, Paul Auster
Etonnant que Paul Auster raconte une histoire pareille. Au regard du premier article de cette page, on ne s’y attend pas. L’histoire c’est celle d’un jeune garçon qui a un don, qui le découvre peu à peu grâce à un initiateur et qui va apprendre à le maîtriser. Ce don, c’est celui de voler. Finalement il s’avère que ce n’est pas un conte, mais un roman d’apprentissage, apprentissage qui révèle les difficultés de la vie, surtout à la fin. Un très beau roman.






mercredi 23 mai 2012

Nouveau Nancy Huston


Infrarouge, Nancy Huston

Le dernier roman de Nancy Huston vient de sortir en poche ; une aubaine !
Mon troisième de cette auteur, et une étrange surprise. Je n’ai pas eu le sentiment de retrouver celle qui a écrit L’Empreinte de l’ange, roman tout en retenue, en finesse et en émotions. Ici on est face à une héroïne qui semble pleine d’assurance, avec un fiancé, une passion (la photographie), un boulo reconnu (photographe favorite d’un journal) et pourtant un lourd passé. Rena a plus d’une faille, derrière le viseur de son appareil photo. Des failles liées aux vices subits dans l’enfance, des accrocs amoureux et sexuels, des fascinations…
On est peut-être plus proche de Dolce Agonia… mais toutefois, il est beaucoup question de vice, de sexe et de blessures dans ce roman fait de réminiscences. Le double de Rena, Suba, voix amie qui l’accompagne partout, l’enjoint sans cesse de « raconter » le souvenir que suscitent en elle les situations ou les individus qu’elle rencontre. Individus et paysages lumineux et exotiques puisque tout cela se passe lors d’un voyage en Italie. Lieu romantique par excellence, Florence est le théâtre pour elle de résurgences plus ou moins douloureuses. Le lecteur devient un peu le voyeur des souvenirs mais aussi des fantasmes de l’héroïne, qui accompagne son père et sa belle-mère pour ces vacances censées les reposer, les rapprocher peut-être.

Bref c’est un peu du voyeurisme tout ça ; certes c’est plaisant, la subversion ça fait palpiter, mais quand même, parfois c’est un peu trop. J’ai aimé cependant, mais c’était étrange. La fin est d’autant plus étrange qu’elle est bouleversante. Ce voyage aura véritablement transformé Rena, mais on ne sait pas si ce sera dans le bon ou le mauvais sens. Une sorte de cure de jouvence dont l’issue reste inconnue pour le lecteur.
Sorte de parcours initiatique à rebours et intérieur, le roman retrace le passé pour mieux voir l’avenir. Florence devient une sorte de bain révélateur à lumière infrarouge (méthode spéciale qu’utilise Rena pour révéler les émotions cachées de ses sujets de prédilection, les hommes en pleine jouissance… je ne saurais pas en dire plus). Rena sort de ce bain différente, plus faible semble-t-il, quoi que…
La fin est donc surprenante, la construction du roman déjà vue mais intéressante. Un roman vite lu, agréable, sans trop de prise de tête. Et avec du style, notons le bien. C’est Nancy Huston quand même. 

Remarque post-écrit : je viens de lire quelques critiques de ce roman, et il est que justement, ce sont les thèmes de prédilection de l’auteur qui sont déployés ici, dans un style et une trame narrative (les réminiscences en forme de musées personnels) remarquables. Comme quoi on ne peut bien juger d’un auteur que si on le connaît un minimum, et pas uniquement en ayant deux de ses livres. Et puis après, ça reste une affaire de goût et de ressenti !

Une remarque encore : la couverture du livre de poche est un peu glauque... on dirait un peu une peinture de Munch qui aurait pris la pluie...

mardi 1 mai 2012

Pennac était un corps



Journal d’un corps, Daniel Pennac

Au XVII siècle, le moi est haïssable ; au XVIIIème, parler de soi est tabou. Au XIXème et au XXème, les autobiographies fleurissent. Au XXIème siècle, le corps s’exhibe, et ce jusqu’en littérature. 

Pennac exhibe son corps face au lecteur. Enfin que dis-je, son corps, pas vraiment, plutôt celui d'un personnage qui tient le journal de son corps, un freluquet qui devient un écorché, un athlète des encyclopédies, et surtout un personnage qui finalement meurt. Donc ça ne peut être Pennac, ce corps en exposition. Mais pourtant...

Ce corps, il le fait venir sur le devant de la scène, il le fait (de)venir obscène. Pas du tout dans un sens péjoratif, pas du tout trivial, grotesque. A travers cette autobiographie d’un genre nouveau, véritablement BIO, puisqu’il s’agit bien du corps, l’auteur de Chagrin d’école et de La petite marchande de prose nous fait voir une nouvelle facette de lui, ou plutôt change l’angle d’observation. Loin de l’autobiographie traditionnelle où il est question des topoï de l’enfance, des grands bouleversements sentimentaux, de divers traumatismes psychologiques, Pennac nous livre ici, année après années, les bobos de son corps et toutes les jouissances physiques qui, deux face d’une même médaille, ponctuent l’existence humaine. 

Sa jeunesse (ou celle de son "héros qui parle de son corps à travers le je", mais je n'y reviendrai pas!- a été plutôt fleurissante, avec des moments de découverte et moult bobos, dont un récit de grève de la faim assez spectaculaire. La vie au pensionnat est quant à elle riche d’évènements burlesques et d’inventions hilarantes, tel que le jeu de loi du dépucelage, dont je me souviens encore deux mois après ma lecture. Vous avez sans doute également eu connaissance par un média ou un autre du fameux passage de l’équilibriste, autrement dit la description de l’explosion jouissive qui ponctue en finale la masturbation. 

Avec les années, le corps ne change plus mais devient plus vulnérable. Finies les immenses jouissances, finies les grands écarts de conduite et les embardées chevaleresques ; on vieillit, le corps aussi (surtout lui peut-être…). Il y a le nodule dans le nez, les saignements, les acouphènes, bref, tous les bobos de la vieillesse. Super quand on a vingt-deux ans que de savoir de quoi sera fait l’avenir de notre corps !
Bon en tout cas un point commun avec l’autobiographie traditionnelle : on pleure, on rit, on souffre, on jouit. Par le corps certes, mais les sentiments sont là également. En creux il y a aussi bien entendu des histoires d’amour (ou plutôt de fesses), des histoires de familles (ou plutôt de décès et de chutes dans le jardin), des histoires de cauchemars et de rêves (autrement dit de sueurs froides et d’éjaculations nocturnes). Par le corps, l’homme. On en revient toujours au même, même si le biais est différent. Et quel biais ! Une autobiographie déconcertante, un peu moins alléchante à la lecture que ne laissait présager le concept peut-être, mais un très bon souvenir.



Bilan après deux mois


Après une longue absence, petites chroniques des lectures de ces deux derniers mois…  Pardonnez les défauts de mémoire !

La ballade de Lila K, Blandine Le Callet
Une jeune fille abandonnée par sa mère dans un futur inquiétant, où tout le monde est épié. Un curieux monsieur qui la prend sous son aile et lui envoie des indices pour retrouver son identité. Des flash back, des souvenirs d’enfance sombres et déconcertants, des chats, et puis l’amour. C’est en gros ce que l’on peut dire de ce roman d’anticipation initiatique, dont l’héroïne est cette jeune fille qui finalement s’appellera Lila. Elle est attachante, bourrée d’intelligence, courageuse. Bref, c’est une héroïne. Ce qui lui est arrivé est plus que déconcertant, ça frise le glauque. Dans un monde futuriste aux allures de l’univers de Spielberg dans AI(Intelligence Artificielle), Lila, enfant, adolescente et adulte, se voit affronter des situations plus perturbantes les unes que les autres. Mais c’est pourtant tout ce qui fait le charme de ce livre, plein d’amitié et d’amour, malgré tout.
Un moment dépaysant, divertissant et assez marquant. 


Les heures, Michael Cunningham
Pour qui a lu Mrs Dalloway, c’est le roman idéal.
S’entrecroisent alternativement les destins de trois femmes : Clarissa Vaughan (hum hum, comme par hasard !), Laura Brown et Virginia Woolf elle-même. L’auteur nous raconte la journée de ces femmes plus ou moins ordinaires, l’une étant éditrice, l’autre écrivaine et la dernière mère au foyer. Il y est question de vie, d’ennui, de suicide, d’amour,… Bref, de tout ce qui peut faire la vie d’une femme aux alentours de la quarantaine. Un roman très agréable et enrichissant, surtout quand on a lu Virginia Woolf.
Je n’ai pas vu le film, mais je pense que ça vaudrait le coup. 



Charly IX, Jean Teulé

Le dernier Teulé venant de sortir en poche, forcément…
Mais j’ai été déçue.
Certes l’histoire est prometteuse : un jeune souverain doux et complaisant qui se transforme en fou furieux assassin sulfureux et malingre, ça laisse présager de grands moments ! C’est vrai qu’il y en a des grands moments : la chasse à cours dans le palais, les changements du calendrier qui déchaînent les paysans (on comprend l’origine du muguet le 1er mai par exemple), les complots étranges qui se trament contre le roi, et j’en passe. En outre ce roman permet de mieux comprendre l’Histoire, en la regardant du côté de l’intime (comme souvent avec Teulé).
Mais alors pourquoi n’ai-je pas aimé ?!
Parce qu’il en fait trop. Charles IX ou Teulé, je ne sais pas. Mais il y a trop de violence, trop d’anecdotes sanglantes, trop de caricature. La transformation du doux prince en bête avide de sang, et ce sur uniquement un an, est poussée à son paroxysme. Selon moi, trop c’est trop… Après, à vous de juger !


Le jour avant le bonheur, Erri de Lucas

Le récit bouleversant d’un jeune garçon devenu adulte, qui nous raconte les lieux de son enfance, la guerre, ses refuges. La ville prend dans ce roman une place singulière. Elle est le théâtre de toutes les violences, mais aussi de toutes les passions, de tous les désirs, de tous les amours.
Un très beau roman, un condensé d’autobiographie, de nostalgie et de poésie.

Désolée de ne pas parvenir à en dire davantage, mais il y a trop longtemps que je l’ai lu. Je ne me souviens presque que du plaisir que j’y ai pris…


A suivre !!!!

dimanche 26 février 2012

Exit Ghost


Exit le fantôme, Philippe Roth

Nathan Zuckerman vit en ermite depuis plus de onze ans, à plus de deux-cents kilomètres de New-York. Mais vient toujours un jour où l’ermitage doit voir partir son locataire, pour un temps plus ou moins long. Dans le cas de Zuckerman, ce n’est rien moins que sa vessie qui fait office de déclencheur ; parce qu’elle se déclenche trop souvent, justement. Agé de plus de soixante-dix ans, notre monsieur souffre d’incontinence, en plus d’une impuissance liée à un ancien cancer de la prostate. Pas de chance…
Pourtant, après une vie où rien ne se passait, où tout était réglé, c’est la chance, ou plutôt le hasard, auxquels Zuckerman cède la place. En deux jours à New-York, il se retrouve plus de fois confronté aux hasards de la vie qu’au cours des onze dernières années. On aurait pu croire que le monsieur, cet écrivain double de l’auteur, se serait terré bien à l’abri dans sa chambre d’hôtel, sans bouger, avec ses vieux livres, en attendant que la tempête passe. Mais contre toute attente, c’est l’inverse qui se produit.
Notre homme, parfois victime d’un alzheimer naissant qui lui embrouille l’esprit, répond présent à toutes ces sollicitations du destin. New-York ça bouge ; alors il joue le jeu, et entre dans la ronde un peu diabolique de toutes les tentations de la grande ville.
La première des opportunités n’est pas des moindres : une annonce pour échange de maisons avec un couple de new-yorkais. La trentaine, lui bon parti et aimant, elle riche et séductrice. En plus de l’aventure du déménagement (qui aurait pu suffire à notre homme vu son âge, mais ne faisons pas dans l’humour noir), c’est l’aventure de la passion qui repointe le bout de son nez après toutes ces années d'hibernation. Jamie fascine Nathan, et il ne cesse d’imaginer des scénarii en forme de dialogue entre elle, la jeune femme désirable, et lui, l’homme terni et diminué par l’âge. Une quinzaine d’années plutôt, alors qu’ils se rencontraient pour la première fois, lui grand écrivain, elle étudiante à la plume attentive, il semblait lui avoir plu. Mais maintenant, les années ayant laissé leurs traces, la fascination n’est plus vraiment de la partie, et encore moins l’attirance…
Bref, il tente de séduire une jeune femme bien plus jeune, alors que tout autour de lui lui montre qu’il n’est plus vraiment à la hauteur du rôle. La porte de sortie et son panneau Exit semblent clignoter quelque part… 

Richard Kilman est l’un de ceux qui, du haut de leur jeunesse musclée, lui rappellent qu’il n’est plus l’homme vaillant et plein d’espoir qu’il était. Ce Richard tueur d’homme (mais Zuckerman n’est-il pas déjà en passe de devenir un fantôme ?) cherche à réaliser la biographie de Lonov, un écrivain oublié qui aurait emporté avec lui un lourd secret, un secret à la mesure d’un Daniel Hawthorne (je ne spoilerai pas, même si ça n’a pas grande incidence sur le cours de l’histoire :p). Zuckerman, à juste titre, estime que ce serait tuer une seconde fois cet homme, dont la renommée littéraire, déjà bien mince, serait alors réduite à néant. Il s’oppose donc à Kilman, lequel, en plus de potentiellement devenir un biographe assassin, est également l’amant de Jamie, statut tant convoité par Zuckerman…
Au fil des rencontres et des opportunités, pendant une semaine plus riche en rebondissements que ses onze dernières années d’existence, on l’a dit, Zuckerman va peu à peu se rendre compte qu’il n’a plus tellement sa place dans le monde, mais aussi que la littérature et sa part de fiction se font peu à peu dévorées par le jeu de la vérité (où est l’autre moi proustien pour un homme comme Kilman ?), et que le monde va à vau-l’eau (il arrive à New-York en plein milieu des élections de 2004 qui voient la victoire de Bush). Tout semble bien flou et prêt à disparaître, comme ce fantôme, ce double de Roth, Zuckerman, qui signe semble-t-il avec ce roman la fin de sa carrière.
Le titre me fait d'ailleurs penser à une mise à pied, le créateur reprenant le dessus sur sa création, dans un dernier sursaut d’espoir, peut-être celui qui tout cela n’est bien été que de la fiction…

Le coeur cousu (et surtout ému)


Le cœur cousu, Carole Martinez

Soledad nous raconte une histoire surprenante : celle de Frasquita, sa mère, couturière magicienne. Aiguilles en main, cette jeune femme a, dès ses débuts, fait montre de talents exceptionnels. Mais comme elle le découvrira une nuit, initiée par sa mère à elle, elle n’est pas seulement une couturière hors pair ; elle a surtout des dons magiques. Rebouteuse aux fils arc-en-ciel, Frasquita va alors accomplir un certain nombre de miracles ; tout ce qu’elle touche de son aiguille se transforme, se sublime ou reprend vie.

Heureusement qu’elle a ces dons Frasquita, puisque dans son village, rien ne va comme elle le voudrait. La statue de vierge manque de vie ? Pas de problème, (attention je spoile !)on va lui coudre un cœur, et elle va rayonner. Son mari voit son coq favori anéanti lors d’un combat ? Rien de plus simple pour Frasquita que de recoudre plumes et plaies. Un jour c’est même un homme laissé pour mort à qui elle redonne visage humain. Tout ce qu’elle touche se transforme, se met à rayonner, à aimer même. Mais malgré tout, un jour, Frasquita quitte son village. Elle a été jouée par son mari (au sens propre!), et en plus de cela l’ogre sévit, et risque de s’attaquer à sa nombreuse progéniture. La jeune femme a en effet eu plusieurs enfants, des filles et un garçon, tous ayant une particularité : l’une ne parle pas, l’autre a aussi des dons, la dernière est revenue de la mort et le garçon est roux (conception moyennâgeuse de la rousseur, mais on est dans un conte, tout est possible !) . Soledad, la plus jeune, la toute dernière, née dans le sable du désert, est quant à elle, comme son nom le laisse entendre et comme on l’apprend dès l’incipit, destinée à la solitude.
A l’extérieur comme à l’intérieur du village, tout est un peu magique autour de Frasquita. Dans ce roman qui flirte avec l’épopée et le conte, on rencontre des sages-femmes un peu sorcières, des médecins mangeurs d’enfants, des révolutionnaires sanguinaires et des héros sans peur. Avec un tel casting, promesse est assurée : on ne s’ennuie pas.

Certes, certains épisodes doivent être pris tels qu’ils sont : fabuleux, dignes d’un conte, un peu abracadabrantesques donc. Mais dès lors que l’on garde cela en mémoire au cours de la lecture (presque 400 pages tout de même), on n’est presque jamais déçu.

Un dernier point est à noter : la dimension métatextuelle de l’ouvrage. La métaphore du fil, du tissu, de la couture, n’est pas sans rappeler l’étymologie du texte, à l’origine un tissu sur lequel on écrit. Soledad, qui raconte l’histoire de sa mère, n’a de cesse de nous rappeler qu’avec ses aiguilles, cette femme a tissé sa vie, comme à la fin elle l’a fait avec les robes de mariées de ses filles. Un destin retracé, cousu et recousu, harmonieux ou rapiécé, qui ne laisse pas en tout cas le lecteur indifférent.