dimanche 20 novembre 2011

Des souvenirs...

Les souvenirs, David Foenkinos

On pourrait presque penser que le narrateur et héros des Souvenirs n’est autre que David Foenkinos lui-même. Solitaire, aimé avec maladresse par ses parents, gardien de nuit dans un hôtel, et surtout, aspirant à devenir écrivain. Bon j’avoue que c’est cet unique point qui me fait dire que, peut-être, il y a identité entre les deux individus. Quoi qu’il en soit, ceci m’a permis de présenter le personnage principal, d’autant plus important que c’est lui qui raconte l’histoire.
Histoire de quoi ? De pas grand-chose finalement, puisqu’il s’agit principalement de deux évènements majeurs de sa vie : ses derniers mois avec sa grand-mère entrée en maison de retraite, et sa rencontre avec Louise, avec qui il aura un enfant. Deux épisodes qui sont autant de souvenirs qui marquent une vie. Et il n’y a pas d’âge pour avoir des souvenirs ; c’est d’ailleurs ce qui permet à l’enfant de se construire.
Mêlés au récit des souvenirs du narrateur - de ses échanges fugaces avec son père, gênés avec sa grand-mère, inexistants avec les femmes-, le roman est empli de souvenirs de personnalités célèbres, de Gainsbourg à Nietzsche en passant par Fitzgerald.
« Chaque jour de mon existence, j’ai eu ces vibrations prémonitoires de mon futur. » Cette phrase de Gainsbourg est fort belle, et résume tout à fait ce qui se passe parfois : le sentiment d’avoir toujours su qu’une chose arriverait.
Le jeune narrateur cherche sans cesse l’inspiration, et les mots pour la dire. Comme il n’a pas – ou peu - d’imagination, il tente de voir dans la vie les détails qui font mouche, et de les transcrire. Toutefois rien ne vient sur le moment, il est dans l’attente de cet instant de grâce littéraire qui tarde à pointer le bout de son nez. Pourtant ce ne sont pas les détails que j’appellerais « en exergue de la vie » qui manquent : la fugue de sa grand-mère, un enterrement mémorable, la rencontre avec Louise, et j’en passe. Autrement dit les détails qui font mouche, qui sortent de l’ordinaire, qui surprennent et s’encrent dans la mémoire; ces détails qui pourraient figurer dans un roman et qui nous font dire que la vie n’est pas qu’une pâle avancée vers la mort.
C’est une chose que je retiens de la lecture de ce roman : la vie est pleine de surprises et de détails ; à chacun de savoir les saisir. Tout le monde peut les photographier ; peu nombreux sont ceux qui parviennent ensuite à développer ces clichés. Proust appelle ceux qui en sont capables des artistes. Pour les autres, ces clichés de la vie restent opaques, lettres mortes. Seuls les artistes parviennent à donner sens à ces photographies que nous prenons sans cesse de la vie, plus ou moins consciemment. La vie, la vraie, la seule vie pleinement vécue, serait alors la littérature (c’est ce que dit Proust dans Le Temps Retrouvé). Moi je pense plutôt que la vie qui donne envie d’être vécue, c’est celle où les détails en exergue se laissent saisir et apprécier, tout en permettant de construire les souvenirs, la mythologie personnelle. C’est grâce à elle qu’ensuite, par les souvenirs et les images flash qu’elle conserve, qu’on peut continuer à trouver des sens à la vie, des détails qui tuent, des détails fluos, en relief, en paillettes, ces détails qui rendent la vie moins lourde et plus intense.

Pour un vrai résumé de ce roman émouvant et burlesque à la fois (comme souvent avec cet auteur), je vous propose le résumé de Sophie : http://leslivresdesophie.over-blog.com/article-david-foenkinos-les-souvenirs-84240659-comments.html#anchorComment

samedi 19 novembre 2011

La drogue ou la vie

Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée…

D’accord, je suis un peu vieille pour m’être intéressée à ce témoignage ; c’est un peu ce que lisent les adolescents pré-pubères dans leurs moments de crise. Mais je ne sais pas, j’avais besoin de lire quelque chose qui s’apparente à un parcours initiatique, quelque chose sur la délicate construction de soi, même si c’est glauque, dur, froid. L’univers de la drogue, c’est comme ça ; effrayant.
Toutefois le témoignage de Christiane (et oui, c’est un vrai témoignage !) ne sombre pas dans le pathos ; elle raconte consciencieusement sa lente mais inéluctable déchéance, sans omettre de détails. Elle revient sur ses pensées après coup, montrant combien elle avait pu se mentir à elle-même, occulter le réel, penser que tout irait mieux alors que tous ses actes prouvaient que ce n’était pas le cas.

Dès son plus jeune âge, la jeune fille a le goût de l’interdit ; tout ce qui est hors la loi la grise, l’attire, l'exalte inexorablement. Forcément il est question d’enfance malheureuse en famille,  de divorce et touti quanti . Néanmoins elle semble prendre plaisir à sa vie de casse-coût. Un plaisir plutôt cynique certes, teinté d’amertume et de danger, mais tout de même. De là viendra son dégoût prononcé pour la vie, ce dégoût qui l’amènera à se laisser tenter par les voyages et autres trips artificiels.
C’est cela qui m’a marquée dans ce témoignage : les motivations des drogués, qui sont finalement peut-être des personnes plus sensible que d’autres. S’ils sniffent, avalent des cachets ou se piquent, c’est pour échapper à la vie ordinaire, laquelle les rend malheureux. Ils ne se sentent pas épanouis dans le monde qui les entoure, sauf quand ils sont sous l’emprise de produits. Qu’ils soient de consommation courante ou d’une rareté onéreuse mais éclatante dans ses effets, que ce soient des somnifères, du Valium ou de l’H (héroïne, pour les intimes), tout est bon à prendre pour se sentir planer ( « à quinze mille » comme ils disent). La vie réelle est vraiment dure, alors autant partir ailleurs, dans des rêveries psychédéliques. Ça on pourrait presque le concevoir. Le problème est que la réalité reprend malgré tout rapidement le dessus, et que tout se corse.
Pour planer, il faut de la drogue. Pour cela il faut payer. Pour payer il faut avoir de l’argent. Pour avoir de l’argent il faut soit être riche, soit travailler. C’est banal, mais cela fait beaucoup de conditions. Des conditions trop nombreuses qui font que rapidement, malgré les trips et les jolies couleurs, tout devient plus complexe. Il ne s’agit même plus de vivre, mais de survivre. Le pire est réservé à ceux qui ont pris de l’H. Ils deviennent rapidement accros, et enchaînent les crises de manque. Il leur faut leur dose quotidienne, laquelle augmente de semaine en semaine. Christiane, comme les autres, pense qu’il est aisé de s’en sortir, qu’on peut décrocher facilement comme elle dit. Rien de plus faux ; beaucoup, même, en meurent.
Néanmoins Christiane fait tout pour s’en sortir.

Ce témoignage est issu d’un entretien qu’une équipe de chercheurs allemands ont réalisé auprès de jeunes berlinois. Christiane s’est prêtée au jeu plus encore que les autres, et pendant deux mois, elle a fait le récit de cette jeunesse terrible, cette enfance gâchée par l’irréalité de la drogue, et, paradoxalement, la rudesse qu’elle impose à ceux qui la côtoient. Une fois qu’on y a touché, toute la vie tourne autour de la poudre, l’existence est centrée sur elle, l’individu est obnubilé par elle. Christiane et ses amis se prostituent pour planer, ou tout simplement, à force, pour ne plus souffrir, pendant un instant. Pour un trip de trop, pour voir la vie en rose l’espace d’un instant, on risque de tomber dans cet état de souffrance perpétuel qui fait de ce livre un témoignage poignant.
Ajoutons que le témoignage de Christiane n’occupe pas l’intégralité du livre ; une petite partie regroupe les témoignages de la mère de Christiane qui assiste, aveugle puis combative, à la déchéance et au retour à la vie de sa fille.
Un livre pour ados, que finalement je conseille quel que soit votre âge ; malgré la jeunesse de l'héroïne (sans jeu de mots aucun !), il s'agit tout de même une réflexion percutante sur la vie et les aspirations humaines au bonheur.